news
Alumni
23 September 2015

Caduc, le droit international des réfugiés ? Pas si vite!

Le professeur Vincent Chetail (Master en droit international ’97), directeur du Centre des migrations globales, répond.

Alors que les Européens se déchirent sur la question du nombre de réfugiés à accueillir, des voix questionnent l’ordre juridique en matière d’asile. Des intellectuels, en France comme en Suisse, s’interrogent sur la validité de la Convention de Genève sur les réfugiés qui date de 1951. L’ancien président Nicolas Sarkozy veut introduire une distinction entre réfugiés politiques et réfugiés de guerre. Qu’en est-il de ce droit? Le point avec le professeur Vincent Chetail, directeur du Centre des migrations globales de l’Institut.

Le Temps: La Convention sur les réfugiés est-elle dépassée?

Vincent-Chetail.png (Vincent-Chetail.png) Vincent Chetail, professeur, droit international

– Cette convention a longtemps été critiquée car elle était considérée comme un instrument de la Guerre froide. Ce n’est qu’à la chute du Mur que les pays de l’Est l’ont ratifiée. Mais dans un premier temps, c’était un instrument uniquement européen pour régler la question des réfugiés provoquée par la Deuxième Guerre mondiale jusqu’en 1951. Avant même son adoption, ce texte était dépassé. Il ne s’appliquait ni aux interventions soviétiques en Europe de l’est, ni aux guerres de décolonisation. Ce n’est qu’en 1967, avec l’adoption du protocole de New York, que cette convention devint universelle, sans limite de temps, ni géographique. Depuis, il s’applique à tous les réfugiés à travers le monde.

– En 2015, à l’ère de la globalisation économique, est-il encore adapté?

– Oui, car cette convention a été ratifiée par 147 Etats et dans toutes les régions du monde. Seuls quelques Etats arabes en particulier restent réticents. Ce texte est quasi universel, c’est son atout majeur. Il a été intégré et développé dans le droit interne des Etats. Cette convention n’est pas plus vieille que les autres, elle a fait preuve d’une capacité d’adaptation. Ce texte n’est pas figé. La notion de crainte de persécution a évolué et a été précisée par les droits de l’homme pour mieux tenir compte des réalités nouvelles de l’exil. Par ailleurs, si on estime que cette convention est inadaptée, il faut bien voir que les Etats ne sont pas prêts à rouvrir les négociations. Il y aurait alors le risque qu’un front anti-réfugiés dépèce le texte. En 1967, les Occidentaux et les pays en voie de développement avaient un intérêt commun à protéger toutes les victimes de persécutions.

– Ce n’est plus le cas?

– La conception des mouvements migratoires devient plus restrictive. Les migrants sont trop souvent perçus comme des profiteurs, un discours alimenté par les populistes, alors même que les réfugiés sont par définition des victimes.

– Quels droits assure la Convention de Genève?

– Elle renferme quatre dispositions clés: la définition du réfugié; le statut des réfugiés; le principe de non-refoulement; et le rôle de gardien du traité dévolu au Haut-Commissariat pour les réfugiés. C’est le cœur. Mais cette convention ne fournit pas toutes les réponses. Il n’y a rien sur la procédure d’asile, elle s’applique aux cas individuels, elle ne parle pas d’interception en haute mer. Ces questions sont toutefois réglées par d’autres instruments internationaux, notamment régionaux. L’Asie est toutefois un maillon faible car elle ne possède pas de traités régionaux.

– Quelle est sa principale limite?

– Elle ne s’applique pas aux réfugiés climatiques.

– Aujourd’hui, l’Europe assiste à un afflux massif. Qu’est-il prévu pour y répondre?

– Tout d’abord, il faut constater que la majorité des personnes fuient des régions en guerre, donc des persécutions. Ce sont des réfugiés. La violence de la guerre en Syrie et ailleurs explique le nombre puisque l’on parle de 500 000 personnes qui ont franchi les frontières de l’Europe. Mais il existe un texte pour régler ce genre de situation depuis 2001: c’est la directive européenne sur la protection temporaire. Au lendemain des guerres de l’ex-Yougoslavie, il a été décidé que le Conseil européen pouvait mettre en œuvre l’accueil et la répartition des réfugiés. Curieusement, aucun Etat – sauf l’Italie, mais elle n’a pas été entendue – ne l’a actionnée. Mais il s’agit d’un statut intermédiaire donnant droit à une protection temporaire.

– Qu’en est-il de la proposition de Nicolas Sarkozy d’un statut de réfugié de guerre, est-ce la solution?

– Mais cela existe déjà! C’est de la pure rhétorique. La Convention de Genève s’applique aux réfugiés de guerre. Par ailleurs, l’Union européenne a créé en 2005 un mécanisme nommé protection subsidiaire pour les personnes fuyant une violence généralisée. C’est le cas des Syriens. Cela donne droit à un permis de séjour d’une année, renouvelable. C’est un statut précaire, avec moins de droits que pour les réfugiés.

– Que répondre aux réticences des pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie)?

– Il est vrai qu’ils n’ont pas de tradition de l’asile, que ce sont des pays homogènes, plus religieux, qu’il y a la peur de l’inconnu et de l’islam. Mais ils doivent jouer le jeu comme tout le monde. Les règles n’ont pas changé depuis qu’ils ont adhéré à l’UE. Il ne faut pas céder aux discours populistes et réducteurs qui assimilent l’islam et le terrorisme. On a vu que l’opinion publique peut évoluer. En Europe de l’Ouest, en Allemagne, la réaction est plutôt saine. Ce revirement de l’opinion permet plus de rationalité dans le traitement des réfugiés.

Article de Frédéric Koller, Le Temps, 22 septembre 2015