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Alumni
03 October 2018

L'avenir de la Cour pénale internationale est en jeu

Le journaliste Stéphane Bussard (MIR ’98) s’exprime et cite le Professeur Georges Abi-Saab (PhD IL ’67).

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Le journaliste Stéphane Bussard s’exprime et cite le Professeur Georges Abi-Saab (centre).

Si les propos de John Bolton, conseiller de Donald Trump, appelant à la mort de la cour de La Haye ont choqué, ils pourraient provoquer une réaction de sursaut de tous les Etats qui veulent combattre l’impunité de graves crimes internationaux.

Que va-t-il advenir de la Cour pénale internationale (CPI)? Les assauts menés lundi contre la CPI par le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump sont d’une rare violence. John Bolton a qualifié l’institution basée à La Haye d’«illégitime». Il a appelé à ce qu’elle meure de sa propre mort.

La CPI, explique ce faucon néo-conservateur, «menace de façon inacceptable la souveraineté et les intérêts sécuritaires des Etats-Unis». Pour John Bolton, qui s’est opposé dès le début avec véhémence à l’institution, «l’idée que des bureaucrates lointains et des juges en robe puissent inquiéter des dictateurs tels que Saddam Hussein, Hitler, Staline ou Kadhafi est ridicule».

Torture en Afghanistan

La lourde charge contre la CPI n’est pas une surprise tant elle s’inscrit dans la politique de démantèlement de l’ordre international menée par l’actuelle administration américaine qui s’est déjà retiré du Conseil des droits de l’homme et menace de sortir de l’OMC. Le déclencheur des foudres de Washington? Pour la CPI, il y a «des motifs raisonnables de croire que des membres de la CIA ont commis des crimes de guerre, dont la torture, les traitements cruels et le viol et d’autres formes de violence sexuelle» en Afghanistan.

Or si les Etats-Unis n’ont pas adhéré au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, l’Afghanistan l’a ratifié en 2003, permettant à la haute cour d’enquêter sur ce qui s’est passé sur son territoire. John Bolton l’a martelé: les Etats-Unis refuseront toute coopération, interdiront aux juges internationaux de fouler le sol américain et sanctionneront les juges de La Haye qui auraient la mauvaise idée d’inculper des Américains.

Mais «cela n’intimidera aucunement les juges», prévient un diplomate occidental qui rappelle non sans ironie l’American Service-Members Protection Act, une loi surnommée «the Hague Invasion Act» qui autoriserait théoriquement les Etats-Unis à envahir les Pays-Bas pour... libérer leurs ressortissants détenus dans les prisons de la CPI.

La bisbille à propos d'Israël

L’autre déclencheur, c’est la volonté de la cour, créée en 1998 et effective depuis 2002, d’enquêter sur d’éventuels crimes de guerre commis par Israël dans les territoires occupés palestiniens. L’administration Trump étant totalement alignée sur le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, elle rejette la saisine de la CPI par l’Autorité palestinienne à laquelle elle a depuis quelque temps déclaré la guerre en sabordant l’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA) et en fermant l’ambassade de fait de la Palestine à Washington.

Conseiller en justice transitionnelle au Centre de dialogue humanitaire à Genève, Pierre Hazan [également alumnus de l’Institut - MIR ’81) analyse: «L’ADN de John Bolton, c’est la souveraineté sans limites des Etats-Unis. L’ADN de l’Europe, c’est l’Etat de droit, la négociation, le multilatéralisme. La ratification du Statut de Rome est même une condition pour l’adhésion à l’UE. Cet épisode illustre le choc de deux conceptions du droit international.» Pierre Hazan, qui constate que même l’ADN de l’Europe est menacé par des régimes illibéraux comme en Hongrie, admet: «Ce qui sera clé à l’avenir, c’est le soutien politique qu’apporteront les Etats à la CPI et la coopération technique (services de renseignement, etc.) qu’ils seront prêts à offrir.»

Réactions vives

La France n’a pas laissé passer les propos de Bolton sans réagir. Elle a réitéré son fort soutien à la CPI qui représente «un pas important dans la lutte contre l’impunité à laquelle nous sommes, avec les Etats-Unis, très attachés.» Heiko Maas, chef de la diplomatie allemande, est tout aussi affirmatif: «Nous sommes dévoués au travail de la CPI, particulièrement lorsqu’elle est sous le feu des critiques.»

Sollicité par Le Temps, le Département fédéral des affaires étrangères précise: «La Suisse s’est fortement engagée en faveur de la création de la CPI et continue à la soutenir dans l’exercice de son important mandat. La CPI est avant tout au service des victimes des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. [...] En faisant en sorte que les responsables de crimes répondent de leurs actes, la CPI contribue à prévenir de futurs crimes et à construire une paix durable.» La CPI elle-même ne s’est pas laissé intimider. Elle va continuer à faire son travail et à œuvrer à la primauté du droit.

Juge pendant deux ans et demi au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Georges Abi-Saab admet que la performance de la CPI, qui a jusqu’ici condamné huit personnes et inculpé le défunt Mouammar Kadhafi, le président soudanais Omar el-Béchir, voire le seigneur de guerre ougandais Joseph Kony, «n’est pas brillante d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif. La CPI cherche toujours à asseoir son autorité. On espère qu’elle y parviendra avec le temps.»

Trois dossiers clés

Pour l’heure, 123 Etats ont ratifié le Statut de Rome, mais la CPI subit des attaques en Afrique. Le Burundi s’est retiré de la CPI tandis que la Gambie et l’Afrique du Sud ont fini par renoncer à la quitter. L’institution n’est pas en odeur de sainteté au Moyen-Orient à l’exception d’Etats comme la Jordanie ou la Tunisie, ni en Asie où la Chine, l’Inde et le Pakistan la boudent.

Directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth le souligne: «Si les Américains ne veulent pas la CPI, qu’ils jugent eux-mêmes les auteurs de la torture perpétrée sous George W. Bush. Pour Bolton, la CPI est donc une menace contre l’impunité de l’Amérique. Idem pour Israël.» Face au mépris affiché par l’administration Trump pour l’Etat de droit, Kenneth Roth est convaincu que le présent épisode pourrait renforcer la CPI.

«Tous ceux qui ne veulent pas être dans le camp de Donald Trump soutiendront davantage la CPI.» Trois dossiers détermineront en partie la crédibilité de celle qui aspire à être une cour globale: les dossiers afghan, géorgien et israélo-palestinien qui mettent en cause respectivement des Américains, des Russes et des Israéliens.

Article original de Stéphane Bussard in Le Temps, 13 septembre 2018