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Alumni
06 March 2014

Ukraine-Russie : déclaration de guerre ou manipulation politique?

Originaire de la région de Transcarpatie, en Ukraine, Olha Mykytyn-Gazziero obtient son doctorat en études du développement à l’Institut en 2010. Depuis 2013, elle assure l’enseignement du cours « Gender and Development » dans le cadre de l’Executive Master en politiques et pratiques du dévelopement (Asie centrale) de l’Institut. Les propos de l’article ci-dessous n’engagent qu’elle.

Les informations qui affluent d’Ukraine et de Russie sont contradictoires. Les Russes invoquent la nécessité de protéger leurs citoyens sur le territoire ukrainien (58 %), annexé en 1954 à l’Ukraine soviétique, pour justifier l’arrivée de leurs troupes dans la péninsule de Crimée dans la nuit du 1er mars, le contrôle progressif des bases militaires ukrainiennes qui y sont installées et les discussions sur les procédures de facilitation d’obtention de la citoyenneté russe des officiers de Crimée. Pour l’opposition ukrainienne, les affrontements qui ont coûté la vie à 94 personnes le 20 février au centre de Kiev et mené à la destitution du président Viktor Yanoukovich et à sa fuite vers la Russie le 22 février annoncent le début des hostilités. Tandis que d’un côté les civils tués sont considérés comme des « terroristes d’extrême droite », de l’autre, ils sont les « héros de l’Ukraine ». Celle-ci se mobilise désormais pour parer aux tensions séparatistes à l’est du pays.


L'alumna Liza Rubach et le professeur André Liebich s'expriment.

Alors que le conflit est décrit comme ethnique et intérieur à l’Ukraine, il devient pourtant sujet de débat au sein des plus hautes sphères de la diplomatie internationale. Les Etats-Unis, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et l’OSCE se réunissent pour trouver une issue à l’escalade. L’Ukraine, bien que non-membre de l’OTAN, a adressé une demande de soutien à cette dernière, qualifiant l’intervention des forces russes en Crimée d’« agression ».

Pour sa part, le gouvernement russe enchaîne les actes législatifs avec l’autorisation de la jonction des « territoires annexes » (implicitement les régions d’Ukraine majoritairement russophones et dont les habitants détiennent la double citoyenneté) et le lancement d’un projet de construction d’un pont reliant la Crimée au territoire de la Fédération de Russie.

En parallèle, le gouvernement temporaire d’Ukraine, non reconnu par la Russie, avec à sa tête Arseni Iatseniouk, un des leaders de l’opposition, et Olexandre Tourtchinov, qui exerce la fonction présidentielle ad interim jusqu’aux élections présidentielles prévues le 25 mai, négocie une aide financière d’urgence avec le FMI et sollicite le soutien des ministres des Finances du G7, la Russie ayant été écartée du G8 depuis les tensions politiques.

En effet, si la dette de l’Ukraine est estimée à 75 milliards de dollars, elle a doublé au cours des quatre dernières années en raison de réformes économiques mal conduites, dans le domaine des énergies (gaz) comme dans celui de la fiscalité (transfert interrompu des capitaux dans les zones offshore). L’Union européenne s’engage à apporter un crédit de 610 millions d’euros à court terme et de 18 à 20 milliards d’euros à long terme, après la formation du nouveau gouvernement. Les Etats-Unis préparent une garantie sur un prêt de 1 milliard de dollars pour un support urgent à l’économie ukrainienne. Le FMI accorde un crédit de 15 milliards, dont la première tranche de 3 milliards sera versée sous peu. Dès lors, la Russie force le ton, s’oppose à la reconduite des accords sur l’allégement du prix du gaz avec l’Ukraine et menace les Etats-Unis de conséquences financières pour leur économie. Et si tout cela était une question d’argent ?

La Guerre froide a pris fin avec la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’URSS. La Russie est sortie perdante des alliances avec les pays Baltes, la Géorgie et, semble-t-il aujourd’hui, l’Ukraine. Vingt-cinq ans n’ont pas suffi à construire des relations durables avec les Etats indépendants des anciennes républiques soviétiques. La situation en Ukraine l’illustre et l’atteste. Dans l’espace postsoviétique, les liens de dépendance économique sont toujours très forts, la restructuration de l’appareil de pouvoir lente et les tensions ethniques présentes.

En effet, dans les années qui ont suivi la chute de l’URSS, la population russophone a massivement migré, quittant les ex-républiques soviétiques, notamment le Kazakhstan et d’autres pays d’Asie centrale comme la Géorgie, incluant l’Ossétie de Nord et l’Azerbaïdjan. Le conflit du Karabakh a ainsi indéniablement provoqué des tensions ethniques à l’égard de la population slave. Les processus de migration de ses populations ont été accentués par des tensions internes, les luttes de pouvoir et les manifestations révolutionnaires, souvent réprimées par les forces armées. Certains de ces pays ont adopté des lois répressives sur les langues et privilégié la population locale pour l’accession aux postes de pouvoir. D’autres ont assoupli les conditions en attribuant le statut de deuxième langue au russe.

La population ukrainienne est d’origine slave et, même si elle parle l’ukrainien à l’ouest et le russe à l’est, les intérêts économiques et politiques dépassent les questions linguistiques. Dans ce contexte, la guerre de l’information, outil de manipulation politique, devient le principal moyen de déstabiliser et de diviser la population.

Ainsi, la situation en Ukraine rappelle une fois de plus que les choix stratégiques dictent la politique internationale. Les frontières entre les pays sont, dans le cas des ex-républiques soviétiques comme dans d’autres, une création artificielle qui ne répond pas forcément aux intérêts des populations locales mais sert les intérêts géopolitiques et économiques des puissances. La démocratie et ses valeurs sont indissociables des luttes de pouvoir qui dépassent les frontières d’un monde globalisé.

Voir aussi:
«La tactique de Vladimir Poutine? Se laisser une grande marge de liberté»
Le Temps, Luis Lema, 6 mars 2014
Interview du Pr. Lynch