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Research
15 January 2016

Soutenance de thèse sur la nouvelle définition du crime d’agression dans le Statut de Rome

Selon Mme Ennaifer, les perspectives de poursuite du crime d’agression demeurent restreintes.

Le 1er décembre dernier, Mme Emna Ennaifer a soutenu sa thèse de doctorat en études internationales à l’Institut, devant un jury présidé par le professeur Andrea Bianchi et composé du professeur Vincent Chetail, directeur de thèse, et du professeur Carsten Stahn, de l’Université de Leyde. Intitulée «La nouvelle définition du crime d’agression dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale: analyse, enjeux et perspectives», la thèse propose une réflexion autour de la définition du crime d’agression adoptée par consensus le 11 juin 2010 à l’occasion de la Conférence de révision de Kampala, plus de soixante ans après les tribunaux militaires internationaux de la Seconde Guerre mondiale.

Quels sont les principaux résultats de votre recherche?

Je voulais démontrer dans quelle mesure la nouvelle définition permettrait à l’avenir de mettre fin aux actes d’agression les plus graves, et ce à travers une analyse minutieuse des éléments de la nouvelle définition ainsi que des enjeux qui y sont liés. La grille de lecture adoptée en arrive à la conclusion qu’à l’exception de quelques scénarios particuliers, la nature même du crime en question, les nombreuses lacunes mais aussi le régime de compétence adopté restreignent considérablement les perspectives de poursuite du crime d’agression, aussi bien par la Cour pénale internationale que devant les instances nationales. Par conséquent, il existe aujourd’hui un très petit nombre de scénarios pour lesquels la Cour pourrait éventuellement être compétente. En outre, étant donné les risques pour la crédibilité de la jeune Cour et les répercussions sur l’ensemble du système international d’une part, et la manière dont la nouvelle définition et les nouveaux amendements ont été négociés d’autre part, j’en arrive à la conclusion qu’il est préférable que la Cour ne s’aventure pas dans les méandres de la poursuite du crime d’agression pour le moment et se concentre plutôt sur la poursuite des trois autres grands crimes (crimes contre l’humanité, génocides et crimes de guerre), qui sont beaucoup moins politisés.

Pourquoi avez-vous choisi ce sujet?

Après une expérience à la Cour pénale internationale à l’issue de mon master, j’ai choisi de faire une thèse sur le crime d’agression car, paradoxalement, bien que l’agression en tant que telle ait été au cœur des préoccupations de l’ONU et de la Commission du droit international et que le sujet ait été abondamment traité par la doctrine, il s’agissait du seul crime «orphelin» de la Cour – à savoir pour lequel sa compétence n’était pas encore activée –, et pour cause. Plus de soixante ans après les premières poursuites devant le tribunal de Nuremberg, le crime d’agression est le seul des quatre grands crimes à être resté lettre morte. Intrinsèquement lié à l’interdiction du recours à la force, il s’agit sans conteste du crime le plus controversé du Statut de Rome. La nature même du crime, aux confins du droit international pénal et du droit de la sécurité collective, la difficulté d’en définir des éléments précis mais également les conséquences éventuelles de sa criminalisation, aussi bien sur la Cour pénale internationale que sur l’ensemble du système international, éveillaient mon intérêt pour ce sujet. Il s’agissait d’un véritable défi compte tenu des enjeux en cause, en particulier la relation complexe entre le Conseil de sécurité et la Cour pénale internationale. De plus, à l’époque où j’ai entamé la thèse, la nouvelle définition n’avait pas encore été adoptée et les spéculations, surtout en ce qui concerne le régime de compétence, sont allées bon train jusqu’aux derniers instants des négociations relatives au crime. Aujourd’hui encore, les choses sont loin d’être claires. Alors qu’une définition a finalement été adoptée par consensus en juin 2010, la décision de l’activation de la compétence de la Cour ne pourra être prise qu’après janvier 2017 et une fois que 30 Etats parties auront ratifié les nouveaux amendements.

C’est donc un sujet en pleine actualité.

En effet, et je continue à suivre de près la moindre évolution, qu’elle provienne des États ou des différents – et non moins intéressants – débats qui alimentent la doctrine sur le sujet. Ma thèse met d’ailleurs l’accent sur certains aspects du droit international qui connaissent aujourd’hui des évolutions importantes liées aux changements dans la nature des conflits mais aussi à l’échec du système de sécurité collective. J’aborde par exemple la responsabilité des acteurs non étatiques dans le recours à la force, notamment la délicate question du terrorisme, ou encore l’existence et l’extension de certaines «zones grises» du droit international, à l’instar des interventions humanitaires ou de la légitime défense préventive. Ces aspects posent de nombreux défis au droit international et appellent à poursuivre le débat dans le cadre de l’interdiction du recours à la force et du crime d’agression en particulier.

Que retiendrez-vous de votre expérience de doctorante?

Ça a été une expérience fort enrichissante, spécialement du point de vue de la recherche et de la manière dont un même sujet peut être perçu et abordé sous des angles très différents. Le mien, étant aux confins de deux branches du droit – le droit international pénal et celui de la sécurité collective –, m’a constamment amenée à choisir des points de vue parfois contradictoires pour en saisir plus profondément la portée. Cet exercice a considérablement élargi les perspectives que je pouvais avoir sur le droit international pénal. Il m’a permis de mieux en cerner les enjeux actuels, les défis, et surtout la relation complexe qu’il entretient avec les autres branches du droit, dont les droits de l’homme et le droit du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir enseigner et également poursuivre des recherches au sein de cette branche.

Ennaifer, Emna. «La nouvelle définition du crime d’agression dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale: analyse, enjeux et perspectives». Thèse de doctorat, Institut de hautes études internationales et du développement, Genève, 2015.   

Illustration: salle d'audience 600 au Mémorial des procès de Nuremberg. © Memorium Nuremberg Trials.