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Alumni
02 September 2015

S’impliquer, surtout ne pas se taire

Ivan Slatkine (Master en histoire internationale, 1999) est le nouveau président de la FER.

Le venin de la politique lui est venu par le lait maternel. Emile Dupont, le père démocrate-chrétien de sa mère et des lois HLM, a été conseiller d’Etat genevois de 1954 à 1965. Côté  paternel brille le livre. Ivan Slatkine incarne la quatrième génération d’une famille de libraires et éditeurs, établie au bout du lac depuis le début du XXe siècle. A la tête de l’entreprise avec son frère aîné, Michel-Igor, celui qui a échappé de justesse au prénom Michel, que porte aussi son père et feu son grand-père, a derrière lui quatorze ans de Grand Conseil – et un Master en histoire internationale de l’Institut, obtenu en 1999. Si ce libéral devenu PLR est sorti du législatif, c’est pour continuer à faire de la politique. Car il préside la Fédération des entreprises romandes (FER).

Le verbe haut et fort

Nommé ce printemps à la tête de la section genevoise, il accédera fin septembre à la  présidence de la faîtière romande. Car la FER recrute dans l’ensemble du tissu économique des cantons francophones, Vaud excepté, car chasse gardée du Centre Patronal.

«Je ne serais pas parti du Grand Conseil si la FER n’était pas venue me chercher. Je suis très impliqué dans les débats de société. J’aime ma ville, mon canton, mon pays. Je déteste me taire, me cacher. Je suis ouvert à la discussion. Je ne suis pas hypocrite. Je dis franchement les choses. Je manque peut-être un brin de diplomatie. La politique m’a appris à négocier, à respecter l’adversaire. A trouver le moyen de tirer les ficelles du côté où on souhaite aller.»

«J’ai toujours été de droite. Au collège, je m’engueulais avec mes copains de gauche»

Ivan Slatkine n’est pas gêné de parler de lui en public. Il a le verbe haut et fort, le regard droit. On le sent à l’aise, marathonien du discours. Il maîtrise son bouillonnement, sauf en privé, avoue-t-il, où il est à même de s’énerver. Bosseur, il confesse travailler six jours par semaine. Son matin idéal? Se lever à cinq heures, traverser Genève sans circulation pour ouvrir ses bureaux de Chavannes-de-Bogis, à six. En patron passionné, il aime jouir du samedi pour pouvoir se concentrer sur ses dossiers hors des sollicitations extérieures.

Enfant, il rêvait d’être un homme libre. «Ce que je suis. J’ai grandi dans un univers libéral sur le plan des valeurs professionnelles. J’ai toujours été de droite. Au collège, je m’engueulais avec mes copains de gauche. Grand lecteur du Journal de Genève depuis l’adolescence, je partageais les idées développées par Françoise Buffat dans ses éditos. Libéral humaniste, j’ai le sens des responsabilités individuelles. Je suis favorable à un Etat qui régule, mais j’accorde davantage ma confiance aux individus qu’à l’Etat.» L’homme ne comprend pas Christoph Blocher et abhorre le populisme de droite.

«J'aime avoir des frissons»

Les Slatkine sont originaires de Rostov-sur-le-Don, pas très loin de la frontière ukrainienne. Mendel, l’arrière-grand-père d’Ivan, fuyant les pogroms russes, s’est retrouvé à Genève avec sa famille et sa bibliothèque. Il se dit que cet agent d’assurances parlait 32 langues. Ruiné, ses biens ayant été placés en titres russes, il ne lui reste, en 1918, que ses livres pour subsister. S’ouvre ainsi la librairie Slatkine dans la vieille ville. Deux générations plus tard, Michel-Edouard, sur le conseil d’amis américains, se lance, grâce à l’invention de l’offset, dans la réimpression de livres recherchés de littérature française et de philologie romane. L’âge d’or court des années 60 aux 80. Aujourd’hui, Slatkine Reprints SA, propriétaire des Editions parisiennes Honoré Champion, édite des livres, en réimprime, et en diffuse à travers Servidis, qu’il gère en partenariat avec Le Seuil. Le dernier coup éditorial de la maison remonte à 2014: 8'000 exemplaires vendus pour Au bout du rêve, l’épopée victorieuse de l’équipe suisse de Coupe Davis. «Un livre fait en 48 heures, sur la base d’une solide préparation. J’aime avoir des frissons.»

Notre homme ne parle pas le russe, mais son épouse américaine oui. Leurs enfants ont tous des prénoms slaves. Et le père se déclare homme du froid, adorant la montagne. Rien de tel pour se détendre qu’une équipée à peaux de phoque, hors des sentiers battus. Cet ancien fou de foot s’est reconverti au tennis entre amis. Le peu de loisir que lui laissent ses nombreuses occupations, il le passe en famille.

Méticuleux, un peu maniaque, le président de la FER saura défendre les valeurs des entreprises. Au sein des PME, il dit privilégier le combat des petits contre les grands. Il avait fait campagne pour le prix unique du livre. Et si l’immobilisme de la politique genevoise l’a frustré, la lourdeur des dossiers ne l’effraie pas. Le franc fort, la question de l’immigration après le vote du 9 février 2014, la réforme de l’imposition des entreprises l’attendent au contour. Tout bon, car Ivan Slatkine dit se trouver bien sous pression.

Article de Michel Rime, 24 heures, 25 août 2015.