Gioia Deucher (MIR, ’05) quitte le bureau de Swissnex à Rio de Janeiro pour retourner à celui de San Francisco.
«Ce n’est pas facile de partir d’ici.» concède la patronne et conceptrice de Swissnex à Rio de Janeiro, Gioia Deucher qui retrace trois ans d’une activité frénétique pour donner naissance à cette structure. La jeune femme part l’esprit tranquille, fière d’avoir accompli la mission qu’on lui avait confiée: créer des ponts scientifiques et culturels entre les deux pays, mais aussi faire rayonner la Suisse au cœur d’une ville merveilleuse, hôte de ces grands événements sportifs qui l’ont fait briller puis sombrer. La mélancolie, si elle existe dans le regard de Gioia Deucher, n’est rien à côté de celle que l’on respire à Rio, une ville aujourd’hui en faillite.
Pour les Cariocas, les Jeux olympiques ont été une parenthèse heureuse dont ils ont profité au maximum. 500 000 d’entre eux ont visité la Maison suisse, installée sur les rives de la lagune centrale de Rio, et beaucoup en gardent un souvenir ému: première fois qu’ils ont goûté au vin et au fromage suisses, mais surtout première glissade sur une patinoire «high-tech et écologique», très remarquée dans les médias. Swissnex a été chargé de toute la programmation culturelle de la Maison suisse. L’objectif était de faire découvrir le pays, très peu connu du public brésilien selon le directeur de Présence Suisse, Nicolas Bideau: «On avait réalisé une étude d’opinion avant la Coupe du monde de football en 2014, qui avait montré que les Brésiliens avaient une méconnaissance totale du «Swiss made». Trois ans plus tard, la situation a bien changé: «Il y a eu la Maison suisse, bien sûr, et puis la collaboration de la justice suisse avec les procureurs brésiliens en charge de l’enquête Lava Jato sur la corruption. Tout cela a rénové notre image et professionnellement, on est plutôt très bien vu», considère Gioia Deucher.
L’avis est partagé par le consul, Giancarlo Fenini: «On a encore du travail à faire en direction du grand public, en particulier sur les réseaux sociaux, mais les retours ont été très positifs.» Et pour lui, aucun doute, l’implantation de Swissnex a permis de créer des liens inédits avec le Brésil: «Tous les grands centres de recherche connaissent Swissnex. La Suisse a été, avant d’autres pays européens, la première à monter des partenariats avec des fonds des deux pays. Vu la crise économique, c’est vraiment que le Brésil nous fait confiance.» Pour Gioia Deucher, obtenir cette confiance n’a pas été facile au début. «J’avais l’impression de ne pas avancer, de passer trop de temps à rencontrer les autorités. C’est plus tard que nous avons vu les bénéfices de toute cette approche.»
«Intelligente, vive et réactive»
Les difficultés de ce continent ne sont pourtant pas nouvelles pour la jeune femme. Entre elle et l’Amérique latine, l’histoire est ancienne et la passion réelle: elle a grandi en Amérique centrale et c’est au Brésil qu’elle décide d’aller à 19 ans lors d’une césure universitaire. Puis c’est dans l’Etat du Goias, dans le Brésil rural, qu’elle retourne à 29 ans pour étudier un projet de microfinance, un sujet qui la passionne alors et pour lequel elle s’engage en formation auprès de la banque UBS. Elle ne termine finalement pas ce projet. Par amour, après avoir rencontré celui qui deviendra son mari, elle part à San Francisco. Elle restera quatre ans dans la baie des Anges, tout de suite embauchée par le bureau de Swissnex. L’expérience est bien différente du Brésil. Ce sont les start-up de la Silicon Valley qui intéressent l’innovation suisse. Mais elle apprend là-bas tout ce qui fait la spécificité de Swissnex et qui la rend fière de travailler pour son pays. Alors qu’elle n’a pas particulièrement la fibre nationaliste. Quand on lui propose un autre défi, celui de monter un nouveau bureau au Brésil, elle n’hésite pas longtemps.
Le consul à Rio ne tarit pas d’éloge sur la directrice. «Elle est extrêmement intelligente, vive et réactive. Elle a réussi à expliquer nos valeurs, à montrer que la Suisse est un des pays les plus avancés en matière d’innovation.» Gioia a cerné la spécificité du Brésil et su chercher les domaines dans lesquels la Suisse pourrait être utile au pays. En optant pour l’Amazonie, elle n’a pas choisi la facilité. Cet espace unique au monde est difficile d’accès, le Brésil étant toujours hésitant à ouvrir ce patrimoine aux scientifiques étrangers.
L’image d’une Suisse innovante
«On considère dans notre approche que la Suisse et le Brésil sont au même niveau, alors qu’ici, ils sont plus habitués à une mentalité colonisatrice des Européens», explique Gioia Deucher. Swissnex propose donc un partenariat intéressant pour les deux pays: un drone solaire conçu par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich survolera une partie de la forêt amazonienne. Pour les Suisses, il s’agit de tester l’autonomie et la résistance de l’appareil dans des conditions climatiques différentes de celles de l’Europe. Pour les centres de recherche brésiliens, cela permettra d’obtenir des données atmosphériques complémentaires à celles fournies par des satellites. Un partenariat qui porte toute la philosophie de Swissnex. En écoutant Gioia Deucher parler de l’Amazonie – «patrimoine unique», «biodiversité» – on perçoit bien les partenariats qu’elle a imaginés. On est loin en effet de la mentalité de «colon». Et on comprend mieux le consul quand il assure que «Swissnex est devenu un pilier de notre politique extérieure, un outil central pour notre rayonnement». A Rio de Janeiro, à São Paulo où Swissnex a aussi un petit bureau, comme à Belém en Amazonie, Gioia Deucher a sans aucun doute inscrit dans les esprits l’image innovante de la Suisse.
Article original d’Anne Vigna in Tribune de Genève, 10.07.2017