Vincent Chetail vient de publier un article à l’Annuaire français de droit international consacré à l’instrumentalisation de la migration par la Biélorussie et son impact dans l’Union européenne. Durant l’hiver 2021-2022, l’Union européenne s’est rapidement enfermée dans une logique d’escalade qui l’a conduite à endosser une rhétorique martiale et
déshumanisante des migrants, en assimilant leur arrivée à une « attaque hybride ». Ce faisant, l’Union a précisément contribué à l’effet recherché par la Biélorussie de créer une crise politique pour mieux la déstabiliser.
La notion d’attaque hybride n’a aucune signification en droit international. D’un point de vue strictement juridique, le comportement de la Biélorussie constitue une violation du principe de non-intervention dans les affaires intérieures et extérieures au sens de la Charte des Nations Unies. Il s’agit d’une contre-mesure illégale organisée en représailles aux sanctions décidées par l’Union européenne suite à la répression de l’opposition biélorusse.
Cependant, un tel fait internationalement illicite de la Biélorussie doit être dissocié des victimes collatérales de cette instrumentalisation que sont les migrants eux-mêmes et à l’égard desquels les Etats européens ont des obligations. L’article analyse et documente les nombreuses violations perpétrées à l’encontre des migrants par la Biélorussie, la Pologne et la Lituanie. Il souligne également les risques de voir instaurer un régime d’exception permanent, à travers la proposition de la Commission européenne d’un nouveau règlement sur l’instrumentalisation de la migration.
Cette batterie de mesures attentatoires aux droits fondamentaux contraste singulièrement avec l’accueil des réfugiés ukrainiens et la mise en place d’un régime de protection temporaire destiné à protéger les victimes de la guerre. Cette politique du deux poids deux mesures met en lumière un droit d’asile européen à géométrie variable.
Ainsi confrontée à ses propres dérives, l’Union devra en tirer les leçons pour bâtir un système commun européen d’asile exempt de toute discrimination dans le respect du droit international. Dans le cas contraire, l’Union européenne ne reniera pas seulement ses valeurs. Elle démontrera à quel point elle est victime de ses propres démons et révèlera au grand jour l’instrumentalisation politique de la migration, dont elle est devenue un acteur à part entière.
Chetail, V. « L'instrumentalisation des migrations et la tentation de l'état d'urgence permanent: le droit européen d'asile en question », AFDI/Annuaire français de droit international, 2021, vol 67, 437-447.
L’article peut être téléchargé ici