Un vent de panique souffle sur la candidature du président iranien Hassan Rohani. Le réformateur n’est plus du tout assuré de remporter vendredi un second mandat à la tête du gouvernement.
«Preuve de son inquiétude, il a beaucoup durci le ton, franchissant même des lignes rouges, lui d’habitude si prudent. Il a déclaré que le peuple ne veut pas pour président un homme qui n’a fait que pendre et fusiller des prisonniers au cours des derniers 38 ans! Allusion évidente au passé tabou de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. C’est inouï!» assure Mohammad-Reza Djalili, professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.
«En Iran, on ne parle jamais des exécutions massives d’opposants suite à la révolution islamique de 1979», a rappelé mardi le professeur lors d’une conférence publique à l’Institut. «Ebrahim Raïssi fut l’un de ceux chargés des condamnations à mort. Il devint plus tard procureur du tribunal qui juge le clergé, une position de pouvoir. Proche du Guide suprême Ali Khamenei, il a été nommé l’an dernier à la tête de la fondation islamique Astan Qods Razavi, probablement la plus riche du monde. Ce qui ne l’empêche pas de se poser en défenseur des pauvres, accusant Hassan Rohani d’être au service des élites économiques!»
C’est le grand handicap du président sortant: malgré l’accord nucléaire signé en 2015 et les sanctions internationales levées en 2016, le chômage n’a pas reculé. Bien au contraire. «Environ 30% des diplômés ne trouvent pas de travail. Les meilleurs partent à l’étranger», note Mohammad-Reza Djalili. «Et personne ne sait si l’accord nucléaire sera maintenu ou dénoncé par Donald Trump, qui durant sa campagne électorale accusait Barack Obama de commettre une énorme erreur. Vendredi, jour du scrutin iranien, le président des Etats-Unis sera en Arabie saoudite, chez le principal rival de Téhéran!»
Ebrahim Raïssi dénonce la «naïveté» de Hassan Rohani, qui laisserait Washington manipuler l’Iran. «Nous ne voulons pas d’un gouvernement américain!» a-t-il lancé récemment. «Pour le contrer, le président sortant tente de récupérer les voix des jeunes, des femmes et des minorités. Les sunnites représentent 10% de la population et leurs leaders religieux appellent à voter Rohani. Cela peut être déterminant», note le professeur genevois.
Ebrahim Raïssi est, lui, porté par les milieux conservateurs et les Gardiens de la révolution. Défenseur inflexible des «valeurs islamiques» contre la «dérive occidentale», il fait d’ailleurs partie des candidats crédibles à la succession du Guide suprême, au cas où Ali Khamenei, 77 ans, viendrait à disparaître. Pour rappel, ce dernier était président lorsqu’il fut appelé à succéder à l’ayatollah Khomeiny en 1989. Or, la candidature de Raïssi a encore été renforcée lundi quand le maire conservateur de Téhéran, Mohammed Bagher Ghalibaf, s’est retiré de la course à la présidentielle.
Le vice-président sortant, Eshaq Jahangiri, s’est à son tour retiré mardi, expliquant avoir fait «son devoir» en présentant sa candidature au cas où celle de Rohani aurait été invalidée. Le Conseil des gardiens de la Constitution, dominée par les conservateurs hostiles au président sortant, n’avait en effet retenu que 6 des 1300 candidatures présentées.
«Leurs décisions sont totalement opaques. Parmi ceux jugés indignes d’être élus figurent… les anciens présidents Ahmadinejad et Rafsandjani!» rappelle le professeur Djalili. Bref, le scrutin est une mise en scène. Le régime donne à choisir entre un religieux «modéré» et un religieux conservateur. «Il faut bien qu’il y ait un enjeu, sinon personne ne va voter et ce ne serait pas bon pour la révolution populaire. Mais du coup, c’est un moment dangereux pour le régime.»
La Tribune de Genève, Andrés Allemand, 18 mai 2017