news
Global health centre
22 May 2018

L’OMS, 70 ans pour s’affirmer sur la scène mondiale

A l'occasion de l'Assemblée mondiale de la santé en mai 2018, Le Temps est revenu sur les 70 ans de l'OMS. Vous pouvez lire l'article intégral ci-dessous:

 

Si, depuis sa création en 1948, l’OMS a connu des succès comme l’éradication de la variole, elle reste faible financièrement. Avec son nouveau directeur, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, elle espère à nouveau devenir plus politique alors qu'est réunie à Genève l'Assemblée mondiale de la santé.

L’institution célèbre ses 70 ans cette année. A l’heure où une bonne partie des 194 ministres de la Santé des Etats membres convergent vers Genève pour l’Assemblée mondiale de la santé (AMS), une question s’impose: où va l’Organisation mondiale de la santé (OMS)? Pour Tedros Adhanom Ghebreyesus, élu à la tête de l’OMS en mai 2017, c’est une sorte de baptême du feu.

Lundi, à l’ouverture de l’AMS, il s’est dit «fier» de la réaction de l’OMS à l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo, pour l’heure contenue. Cherchant à imprimer son style, il a ajouté: «Nous changeons encore l’Histoire chaque jour.» Egalement à Genève, le président de la Confédération, Alain Berset, en est convaincu: «Le rôle de l’OMS et les attentes envers elle vont s’accroître au cours des vingt prochaines années», notamment dans la gestion des crises sanitaires d’urgence.

 

Acculés à la pauvreté


L’OMS est à un moment charnière où elle doit non seulement s’affirmer dans un contexte très politique où les acteurs de la santé se sont multipliés, mais elle doit aussi convaincre les Etats membres de la renforcer, notamment sur le plan financier. «C’est une assemblée cruciale», explique le numéro un de l’OMS. «[…] Nous célébrons sept décennies de progrès en matière de santé publique qui ont permis d’augmenter l’espérance globale de vie de vingt-cinq ans.»

Mais, ajoute-t-il, «trop de gens meurent encore de maladies évitables ou sont acculés à la pauvreté parce qu’ils doivent payer de leur propre poche des soins de santé. Trop de gens n’ont toujours pas accès à des services médicaux. C’est inacceptable.» En chiffres, 100 millions de personnes en 2010 ont sombré dans l’indigence extrême en raison de factures de santé qu’elles ne pouvaient pas payer. Moins de la moitié de la population de la planète a accès aux soins dont elle a besoin.

Cette semaine à Genève, Tedros Adhanom Ghebreyesus va chercher à accélérer la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), en investissant davantage dans la santé. Son objectif: faire en sorte qu’un milliard supplémentaire de personnes aient une couverture santé, s’assurer qu’un milliard de gens supplémentaires soient protégés contre les urgences sanitaires et enfin améliorer la santé d’un milliard de personnes supplémentaires. Ex-ministre des Affaires étrangères et de la Santé, l’Ethiopien s’inscrit dans une lignée de dirigeants plus politiques. Une vertu jugée nécessaire dans le contexte actuel. Une fois oubliée son erreur de jugement initial lorsqu’il nomma le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, au poste d’ambassadeur de bonne volonté de l’OMS avant d’y renoncer, le patron de l’OMS donne l’impression de vouloir conférer une crédibilité nouvelle à son organisation.

 

Le fiasco de la crise d’Ebola


Pour comprendre le caractère incontournable, mais aussi la fragilité, de l’OMS aujourd’hui, il est utile de se pencher sur ce qui l’a façonnée depuis sa création en 1948. Directrice du Global Health Centre à l’Institut de hautes études internationales et du développement, Ilona Kickbusch rappelle les différentes crises qui ont eu un impact sur la perception et le rôle de l’agence spécialisée de l’ONU. A commencer par la plus récente, l’épidémie d’Ebola qui a ravagé le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée entre 2014 et 2016, faisant plus de 11?000 morts. L’OMS, sous la direction de la Chinoise Margaret Chan, a tardé à réagir. Elle en a toutefois tiré les leçons, renforçant sa capacité opérationnelle en cas d’épidémie ou de pandémie. A son arrivée à Genève, Margaret Chan a pris la direction d’une organisation en quête d’identité. A partir de 2011, elle a dû procéder à des réductions drastiques de personnel. «Son défi a tout d’abord été de stabiliser l’OMS», relève Ilona Kickbusch.

Ce n’est pas la seule phase difficile dans l’histoire de l’organisation. Désorientée par le nouvel ordre libéral de l’immédiat après-guerre froide, l’OMS perd de son autorité globale sous la faible direction du Japonais Hiroshi Nakajima (1988-1998). Comme Chan, il a lui aussi une approche technique de l’OMS. Son manque de leadership au moment de l’épidémie de sida contribuera à la création d’ONU-Sida, mais aussi du Fonds mondial de lutte contre le sida.

L’OMS a toutefois connu des directeurs généraux qui ont marqué leur époque. Au sortir du processus de décolonisation, le Danois Halfdan Mahler (1973-1988) réalise que la santé doit aussi être un moyen de développement et de démocratisation. Gro Harlem Brundtland (1998-2003) remporte un combat homérique contre l’industrie du tabac, qui avait infiltré l’OMS avec de pseudo-consultants. En 2003 est adoptée la Convention-cadre de lutte antitabac, un moment historique.

Son expérience politique de première ministre de Norvège sera capitale. Sous son règne, une commission macroéconomique pour la santé dirigée par Jeffrey Sachs sera instituée et associera étroitement le développement d’un pays à la santé. Un tournant après la poussée néolibérale des années Reagan aux Etats-Unis, où la couverture médicale universelle était considérée comme de la «médecine socialiste». L’OMS retrouve les principes établis dans son «extraordinaire Constitution élaborée par de vrais visionnaires», pense Ilona Kickbusch. «Ceux-ci estimaient que l’OMS, c’était davantage qu’une discipline médicale, c’était une contribution majeure à la paix».

 

Médecine de précision


Aujourd’hui, l’OMS fait de la couverture universelle une priorité. C’est le principe de santé pour tous qui fut plébiscité en pleine guerre froide lors de la conférence historique d’Alma-Ata, au Kazakhstan en 1978. Si l’on ne peut que souscrire à la couverture médicale universelle, la vision d’Alma-Ata de 1978, estime Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, connaît désormais ses limites: «Aujourd’hui, on se rend compte qu’on ne peut appliquer les mêmes recettes à tous. On s’oriente davantage vers une médecine dite de précision, plus individualisée.»

L’entrée en vigueur en 2005 du Règlement sanitaire international a été une autre étape cruciale. Celui-ci permet à l’OMS de déclarer une urgence sanitaire sans l’accord des Etats membres. Ce pouvoir est désormais central au vu des risques considérables de propagation de graves épidémies en raison d’une mobilité accrue et d’un monde toujours plus interconnecté. Quand la volonté politique est là, l’OMS est capable de grandes choses. L’éradication de la variole grâce à la vaccination à grande échelle annoncée en mai 1980 en est une. «Pour un tel accomplissement», explique Antoine Flahault, «l’OMS aurait dû obtenir le Prix Nobel.» La maladie infectait 50 millions de personnes en 1948… En 2018, l’OMS dit être sur le point d’éradiquer la polio dont elle recense encore quelques cas au Pakistan et en Afghanistan.

Ce qui choque le directeur de l’Institut de santé globale toutefois, c’est «la pauvreté des moyens alloués à l’OMS»: elle a un budget qui fait une fois et demie celui des Hôpitaux universitaires de Genève. Elle dépend à 70% de dons privés et les priorités des donateurs privés ne sont pas toujours cohérentes avec celles de l’organisation.


Publié dans Le Temps le 21 mai 2018

Photo © Le Temps