Un double attentat a touché hier deux endroits symboliques de Téhéran: 13 morts et près de 50 blessés
Terrorisme Le sanctuaire iranien, c’est fini. Téhéran a été frappé en plein coeur hier par le terrorisme islamiste. Son ennemi juré, le groupe Etat islamique (EI), a revendiqué hier ses premiers attentats dans ce pays jusque-là préservé. Deux attaques ont été menées simultanément contre deux lieux hautement symboliques de la capitale, le siège du parlement et le Mausolée de l’imam Khomeyni, distants de 20 kilomètres.
Déguisés en femmes, quatre assaillants ont lancé une attaque dans la matinée au sein du parlement. Deux d’entre eux ont actionné leur ceinture explosive, tandis que les deux autres ont été tués dans l’assaut des forces spéciales. Au mausolée, situé près de l’aéroport international, deux terroristes se sont fait exploser. Un troisième attentat a pu être stoppé par les forces de l’ordre. Bilan: 13 morts et près de 50 blessés. Eclairages.
1 Cette attaque est-elle une surprise?
«Je n’ai été que partiellement surpris car la raison d’être du groupe EI, c’est de combattre le chiisme», explique Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS. «L’EI a été créé pour lutter contre le Gouvernement irakien qui a pris le pouvoir après la chute de Saddam Hussein. Son objectif est d’anéantir le régime iranien et de soutenir les sunnites qui adhèrent à l’idéologie wahhabite saoudienne. Selon l’EI, l’Iran n’est pas un pays musulman.»
Pire, aux yeux du groupe terroriste sunnite, l’Iran chiite, c’est le diable. «Les Iraniens étaient conscients que l’EI était une menace», poursuit le chercheur. «J’étais en Iran il y a 11 mois et j’ai pu voir que des mesures sécuritaires avaient été prises pour contrôler certains milieux au sein de la communauté sunnite iranienne minoritaire formée de Kurdes ou de Baloutches. Il existe dans le Sud-Est iranien, autour de la ville de Zahidan, un groupe terroriste inspiré de l’EI et d’al-Qaïda qui mène des actions terroristes meurtrières contre les forces de l’ordre. Donc, l’Iran a été confronté au terrorisme depuis quelques années, même si l’on n’en parle pas en Occident.»
Ce n’est pas tout. Les organisations politiques d’opposition kurdes, installées dans la région kurde irakienne, ont pris contact avec l’Arabie saoudite. Résultat: les hostilités entre Riyad et Téhéran se sont développées. «L’Arabie saoudite accueille et aide ouvertement l’opposition iranienne», ajoute Karim Pakzad. «Les Kurdes ont été invités à Riyad ainsi qu’une organisation très ancienne, les moudjahidines du peuple (mouvement armé à l’époque par Saddam Hussein, ndlr).»
2 L’Iran était-il à la hauteur de la menace?
Le terrorisme a frappé ces dernières années à la porte du pays sans parvenir à le déstabiliser. «Il semble que des djihadistes ont essayé ces derniers mois de pénétrer par la frontière avec l’Irak», relève Mohammad-Reza Djalili, ancien professeur de l’Institut de hautes études internationales (IHEID), à Genève. «Le pays est sûr, surtout sa capitale qui est très sécurisée, mais avec 7500 km de frontières maritimes et terrestres avec 15 pays, c’est impossible de tout fermer ou contrôler.» Pour Thierry Coville, professeur à Novancia Business School Paris, «les services de sécurité iraniens ont été efficaces ces derniers temps, déjouant de nombreux attentats».
De son côté, Karim Pakzad afirme que l’Iran portait ces derniers temps beaucoup plus d’attention à ses frontières ouest avec l’Irak, allant jusqu’à établir une ligne de sécurité d’à peu près 40 km à l’intérieur du sol irakien. «Le pouvoir iranien justifie son intervention en Syrie et en Irak, qui coûte en argent et en hommes, par le danger que représente l’EI, l’ennemi farouche. Il explique à l’opinion iranienne que cette lutte empêche une autre Syrie et un autre Irak.» Selon ce chercheur, il existe un trafic important à partir de la mer, de la contrebande de drogue, d’alcool et d’appareils électroniques. Il n’est pas impossible que les assaillants soient venus par cette voie au lieu de passer par l’ouest où les frontières sont très surveillées.
3 La menace vient-elle aussi de l’intérieur?
Cet Etat obsédé par la peur sécuritaire est secoué par des tensions dans ses extrémités géographiques aux frontières poreuses. Les ennemis sur son sol sont nombreux. En particulier dans les territoires sunnites – dans lesquels la population représente 10% des quelque 80 mio d’habitants. En outre, la menace intérieure est permanente dans certaines provinces «à risque» comme le Sistan-et-Baloutchistan où, en octobre 2009, un attentat-suicide revendiqué par le groupe armé sunnite Joundallah, avait fait 43 morts à Pishin.
4 Pourquoi frapper des symboles?
Les objectifs choisis n’étaient pas anodins: le Parlement iranien ainsi que le Mausolée de l’ayatollah Khomeyni, guide spirituel de la Révolution islamique qui a instauré une théocratie chiite. «En ciblant le Mausolée de Khomeyni, les terroristes ont touché le symbole même de la Révolution islamique», éclaire Karim Pakzad. «En frappant l’Assemblée nationale, ils ont atteint le cœur de la démocratie iranienne.»
Fait marquant pour le chercheur: sitôt après l’attentat, les assaillants ont diffusé une vidéo tournée dans le bureau même d’un député du Parlement iranien où se trouvaient deux victimes. «On voit donc le degré de sophistication de cette opération», en conclut Karim Pakzad. La chaîne BBC en langue perse a déchiffré le message audio accompagnant ce film avec des collègues égyptiens. Et d’après eux, les terroristes parlent un arabe parfait. Pas d’accent syrien ni irakien. L’accent est plutôt celui des pays du Golfe.»
5 La signature de l’EI est-elle crédible?
«C’est probablement le fait d’une cellule dormante, envoyée par l’EI de Syrie ou d’Irak, qui a été activée ces derniers temps», estime Mohammad-Reza Djalili. «La situation est de plus en plus confuse dans la région à la suite du voyage de Donald Trump au Moyen-Orient le mois passé, ainsi que l’affaire du Qatar. Le groupe terroriste est en mauvaise posture à Mossoul et Raqqa.Il est pris en étau partout et essaie de se dégager, en transportant sa capacité de nuisance à l’extérieur.»
Le groupe terroriste a multiplié les messages menaçants contre l’Iran cette année, les mettant cette fois à exécution. Dans une vidéo diffusée en mars dernier, il annonçait vouloir «conquérir l’Iran et le rendre à la nation musulmane sunnite».
Comme la Russie ou la Syrie, l’Iran ne fait pas partie de la coalition internationale contre l’EI. Ce qui n’empêche pas ses milices d’être actives en première ligne en Syrie aux côtés des forces de Bachar al-Assad et des Russes principalement. De même, Téhéran accorde depuis 2014 une aide croissante à Bagdad pour écraser le groupe djihadiste. «Le double attentat d’hier ne fera que renforcer la détermination des Iraniens d’éliminer l’EI d’Irak et de Syrie», avance Thierry Coville. «L’Iran se bat en Irak pour éviter que l’EI s’introduise chez lui. L’espoir des djihadistes est d’augmenter les frictions entre les communautés chiite et sunnite en Iran. A mon avis, les tensions ne vont pas augmenter.»
Le Courrier, Thierry Jacolet et Pierre-André Sieber, 8 juin 2017