La victoire nette du président sortant, Hassan Rohani, est un message fort à la communauté internationale. C’est aussi un pied de nez au guide suprême, qui semblait soutenir l’ultraconservateur Ebrahim Raissi
En Occident, on a tôt fait de considérer l’élection présidentielle iranienne comme une parodie de démocratie. Pour les Iraniens toutefois, les candidats à la présidence ont beau avoir tous obtenu l’aval du régime et en être en quelque sorte les garants, ils n’en constituent pas moins des choix radicalement différents. En plébiscitant par 57% des votes le président sortant, Hassan Rohani, face à son rival ultraconservateur, Ebrahim Raissi (38%), les Iraniens ont donné un message clair: ils ont soutenu le candidat de l’ouverture. Celui qui a non seulement osé braver un mythe fondateur de la révolution iranienne en conversant par téléphone avec le président américain Barack Obama en septembre 2013, mais qui a aussi oeuvré à la conclusion, en juillet 2015, de l’accord historique sur le programme nucléaire iranien avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne.
A la suite de sa victoire, les Européens n’ont pas tardé à le féliciter. Dans un tweet, la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, le souligne: «Les Iraniens ont participé de façon passionnée à la vie politique de leur pays. Je félicite le président Rohani pour le fort mandat qu’il a reçu.» Le président français, Emmanuel Macron, a salué la réélection du président iranien, estimant qu’elle renforce l’espoir de voir Téhéran respecter l’accord sur le nucléaire.
Une réélection surprise
La réélection de Hassan Rohani est toutefois une surprise. Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, qui a le dernier mot au sein de la République islamique, semble s’être plutôt rangé derrière l’ultraconservateur Ebrahim Raissi. C’est souvent un soutien décisif. Mais la forte mobilisation des jeunes et des femmes a changé la donne. Beaucoup ont voulu y voir une critique sans précédent du guide suprême, qu’on dit affaibli par la maladie. Rappelant le mouvement réformiste qui avait secoué en 2009 l’élection présidentielle où Mahmoud Ahmadinejad visait un second mandat qu’il finit par obtenir, dans les rues du pays des milliers d’Iraniens portaient des habits de couleur verte.
Ancien otage de l’ambassade de Téhéran en 1980 et ex-ambassadeur pour l’Iran au sein de l’administration de Barack Obama, John Limbert le relève: «Les Iraniens ont clairement montré qu’ils en avaient marre des structures obsolètes du régime, de sa brutalité. Pour eux, Ebrahim Raissi, une figure très puissante de la ville sainte de Mashhad, représentait clairement un retour en arrière. Ce qu’il y a d’assez remarquable, c’est d’avoir entendu l’ex-président Mohammad Khatami féliciter publiquement l’heureux élu alors qu’il n’est pas autorisé à parler publiquement. Sous la surface du régime, les choses bougent.»
Le second mandat de Hassan Rohani sera toutefois semé d’embûches. Pour son premier mandat, il avait promis de restaurer l’économie laissée en lambeaux par le président Ahmadinejad. L’accord nucléaire a permis une levée des sanctions onusiennes liées au programme nucléaire, mais n’a pas apporté la manne qui allait transformer le quotidien des Iraniens. Le maintien des sanctions américaines dissuade encore les autres puissances d’investir en Iran. «Au niveau macroéconomique, explique Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite de l’Institut de hautes études internationales et du développement, Hassan Rohani a réussi à rétablir un certain équilibre. L’inflation, qui était de 30 à 40% dans les derniers mois d’Ahmadinejad, est aujourd’hui inférieure à 10%. Les exportations de pétrole ont pu reprendre.» Le chômage frappe encore 12,5% de la population et 27% des jeunes. L’ex-ambassadeur John Limbert ajoute: «Hassan Rohani n’a pas pu changer beaucoup les choses car son pouvoir est finalement très limité.» Le président iranien ne représente de fait que 10 à 15% de la population, poursuit Mohammad-Reza Djalili. Le reste, ce sont les organes non élus du régime. Sa difficulté sera de composer avec le système judiciaire, avec des Gardiens de la révolution qui contrôlent les leviers de l’économie. En matière de politique étrangère, il y a peu de chances pour que Téhéran mette fin à son soutien au régime de Bachar el-Assad, la Syrie restant un allié arabe crucial. Le conflit syrien a pourtant coûté la vie à plus de 2100 combattants de la République islamique. Mais Hassan Rohani n’a pas vraiment son mot à dire face aux puissants Gardiens de la révolution, l’armée d’élite du régime.
Au vu de sa nette victoire, conclut Mohammad-Reza Djalili, Hassan Rohani pourrait même se positionner pour la succession d’Ali Khamenei au cas où celui-ci venait à mourir. Une situation qui «changerait radicalement la nature du régime».
Le Temps, Stéphane Bussard, 22 mai 2017
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