H.G. Wells écrivait dans La machine à remonter le temps : « Parfois, il faut sortir de la personne que l’on a été et se souvenir de la personne que l’on est censé être. La personne que l’on veut être. » Ce que Wells nous dit ici, c’est que l’être humain est capable d’aspirer – aspirer pour se transformer en une version meilleure de lui-même, choisir d’être un autre, de dépasser ses faiblesses, ses limites, ses insuffisances…
En tant qu’êtres humains, nous sommes capables, en d’autres termes, d’aspirer à une projection plus lumineuse de nous-mêmes. Il est d’autant plus nécessaire de nous en souvenir que nous vivons une période sombre et dangereuse, marquée par une multiplicité de défis croisés, générant par leur interconnexion une incertitude radicale et des menaces existentielles pour notre espèce.
En 1940, au cœur d’une autre période profondément sombre de l’histoire humaine, H.G. Wells écrit un livre – Les droits de l’homme ou Pourquoi luttons-nous ? Cet ouvrage constitue de fait une première proposition de déclaration universelle des droits de l’homme et il inspirera les travaux du comité de rédaction de la Commission des droits de l’homme qui commencent en 1947 sous la direction d’Eleanor Roosevelt. Wells lui-même n’y participera pas, étant décédé l’année précédente.
Le 7 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte à Paris la Déclaration universelle des droits de l’homme. Deux jours plus tard, Eleanor Roosevelt souligne le rôle aspirationnel de ce document, de cette nouvelle Magna Carta internationale, comme elle l’appelle alors : "Let this third regular session of the General Assembly approve by an overwhelming majority the Declaration of Human Rights as a statement of conduct for all; and let us, as members of the United Nations, conscious of our own short-comings and imperfections, join our effort in all faith to live up to this high standard."
L’être humain est imparfait… c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il est perfectible et capable d’aspirer à mieux, capable de se donner des standards élevés et de s’imposer la discipline nécessaire pour essayer de s’en rapprocher.
Plus que jamais nous devons prendre conscience du rôle que jouent et doivent jouer des textes comme celui de la déclaration de 1948 – un rôle de boussole, d’espoir et d’aspiration qui nous oriente vers un meilleur possible. Alors que nous célébrons ses 75 ans, relisons-le en profondeur. Faut-il le modifier pour l’adapter aux enjeux du jour, pour intégrer son universalité à l’aspiration juste des diversités ? Et si oui, comment ? Ces questions doivent être posées, bien sûr, mais à la relecture, on voit que le texte résonne encore. Le problème est plutôt dans le hiatus entre le standard aspirationnel que la déclaration propose et la réalité de notre situation et de nos actions.
Dans les jours sombres qui sont les nôtres, les boussoles aspirationnelles sont plus que jamais nécessaires, mais sont nécessaires aussi les femmes et les hommes courageux et intègres qui essaient d’aligner leurs actions et les principes élevés qu’elles définissent – un courage et une intégrité qui dépendent aussi de chacune et chacun d’entre nous.
C’est précisément quand tout pourrait nous porter à douter, à perdre nos illusions sur la nature humaine, qu’il nous faut continuer à croire à la possibilité du progrès, un progrès qui ici n’a rien à voir avec le progrès technologique ou économique. Le progrès pour lequel nous devons avant tout et constamment continuer à nous battre est celui qui nous rapproche de ce magnifique premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité."