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Alumni
20 July 2011

Le printemps arabe n’a pas aidé Hébron

Derrière l’avant-scène de l’actualité, la question d’Hébron, seule ville palestinienne où vivent des colons, reste une impasse. Témoignage d’une observatrice revenue de Palestine.

A 29 ans, l’[Alumna] Bulloise Tamara Roulin aligne les diplômes (licence en histoire et sciences des religions, master en coopération internationale et développement [de l’Institut en 2008]) comme des perles sur un collier. Après quatre ans de travail dans le domaine de l’audition des requérants d’asile, elle a passé récemment trois mois à Hébron, en Palestine. Objectif de sa mission (encadrée par le Conseil oecuménique des Eglises): observer les violations des droits de l’homme, assister ou aider les personnes menacées, notamment les Bédouins vivant au sud de cette ville sous occupation israélienne. Entretien.

Depuis que l’actualité est dominée par Gaza, on ne parle plus guère d’Hébron. Quelle est aujourd’hui la situation sur place?

Tamara Roulin: A Hébron, la situation est particulière, la ville est coupée en deux. La partie sous autorité palestinienne vit plutôt bien, d’autant que la situation est calme actuellement. En revanche, la population vivant sous autorité israélienne, à savoir 70 000 habitants (soit 20% de la population de la ville), n’a qu’une idée: l’expulsion des colons. Cette partie de la ville est presque totalement fermée aux Palestiniens, des rues entières sont réservées aux seuls Israéliens. Ces gens, femmes et enfants compris, sont brimés du matin au soir, surveillés ou arrêtés parfois au milieu de la nuit.

Comment justifier que 20% d’Hébron soient réservés à 500 colons, vivant pour la plupart dans une seule rue?

C’est ça qui est fou! Lorsqu’on se rend en Cisjordanie, à Hébron en particulier, on se rend compte à quel point les colons sont puissants et vraiment protégés par les soldats. Je n’ai jamais compris la nécessité d’avoir autant de soldats pour protéger ces colons. Le pouvoir dont ils disposent est incompréhensible. Dans le sud du district d’Hébron, chez les Bédouins où il y a une trentaine de colonies plus ou moins grandes, la situation est différente. Ils se rendent compte que ces colonies vont rester et ils sont contraints d’apprendre à vivre ensemble. De fait, la seule chose qu’ils demandent, c’est qu’on leur laisse les champs qui leur appartiennent et où ils font paître leurs moutons...

Vous parlez d’attaques quotidiennes contre les Palestiniens de la part de colons?

Toutes les attaques auxquelles j’ai assisté venaient de la part de colons: jets de pierres lorsque nous accompagnions les enfants à l’école à Hébron (ndlr: une école pour enfants palestiniens est située dans la rue réservée aux colons), insultes, attaques de maisons, intoxication des sources d’eau, mise à feu de tentes de Bédouins en pleine nuit, etc. La plupart du temps, c’est du harcèlement visant à faire partir les Palestiniens.

Vous-même, avez-vous été menacée, d’une façon ou d’une autre?

Oui, d’ailleurs j’en rêve parfois... J’ai été menacée par un colon qui tenait une arme. Il m’a dit que je devais repartir chez moi, que je n’avais rien à faire ici. Il y avait un soldat à une dizaine de mètres, mais il n’était pas là pour me protéger, mais pour protéger le colon! Je ne pense pas qu’il aurait tiré, mais cela fait bizarre, tout de même, même si on ne se rend pas très bien compte.

Cette expérience a-t-elle changé votre regard sur la colonisation?

Cette expérience ne m’a ni refroidie ni mise davantage en colère. En essayant de me mettre à la place du colon... je me suis dit que cela m’énerverait aussi de voir une personne étrangère devant ma porte tous les jours juste pour me surveiller. Mais ils sont dans leur tort, et il est de notre devoir de leur montrer que nous n’acceptons pas leur présence sur un territoire qui ne leur appartient pas! Ces colons nous ont constamment insultés, traités de «nazis». Avec les soldats on pouvait parfois discuter, mais avec les colons d’Hébron c’était mission impossible tant ils sont extrémistes. Rares sont ceux à faire la part des choses.

Quel est le rôle de l’armée entre colons et Palestiniens?

L’armée exerce une pression en démolissant des maisons de Palestiniens. En Palestine, les régions où se trouvent les colonies (implantations formées de quelques familles ou villages entiers) sont en zone C, à savoir sous contrôle militaire et civil israélien. Les Palestiniens qui y habitent doivent obtenir un permis de construction pour n’importe quoi, même pour des toilettes! Les permis ne sont accordés que dans 4% des cas. Les Palestiniens construisent néanmoins, d’où les démolitions.

Economiquement, dans quel état est la région d’Hébron?

On dit d’Hébron que c’est la capitale économique de la Cisjordanie. Le taux de chômage n’a rien à voir avec Gaza, la construction, notamment celle de centres commerciaux, est dynamique. Il y a une nette reprise. Surtout que la situation y est calme depuis des années, même s’ils vivent aussi beaucoup d’apports extérieurs.

Selon votre expérience, comment améliorer la situation en Palestine sur cette question fondamentale de la colonisation?

Le problème, c’est que ces colonies sont là depuis plus de 30 ans. Cela peut représenter la vie entière de quelqu’un: on peut comprendre qu’ils ne veuillent pas partir. D’un autre côté, le problème fondamental est bien celui de l’occupation et des colons. Encore faut-il distinguer entre colons économiques et religieux. Avec le recul, je peux comprendre (mais pas admettre) les «colonies économiques» (on leur offre 10 000 dollars, une maison, pas d’impôts durant 10 ans, écoles gratuites, un travail... Pour des jeunes au chômage dans leur pays d’origine, c’est tentant...), dont la plupart se situent autour de Jérusalem. Mais cela n’explique pas tout et cela reste illégal. Par contre, je ne tolère pas l’attitude des colons religieux que j’ai côtoyés quotidiennement à Hébron. A Hébron, ce sont eux qui posent problème, qui attaquent les Palestiniens. La majorité des Palestiniens sont fatigués de ce qui se passe, la chose qu’ils demandent est d’avoir la paix. Mais tant que les colons seront au centre de la ville, cela ne sera pas possible.

Quelle solution à plus long terme entre les deux communautés antagonistes?

Les Palestiniens sont très désabusés devant la situation actuelle. S’ils devaient choisir, je pense qu’ils opteraient pour un seul Etat. Ils seraient, sans doute, plus perdants encore dans une situation avec deux Etats. Dans l’impossibilité de changer leur situation, ils attendent donc de l’aide extérieure. Les gens ont suivi avec passion les images du «Printemps arabe». Ils ont l’espoir que les peuples arabes libérés viendraient bientôt les aider à leur propre libération...

De Pascal Baeriswyl in Le Courrier, 6 juillet 2011
A consulter aussi le blog: tamroulin.blogspot.com
 

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