La Russie joue à nouveau un rôle clé, note le professeur Andre Liebich. Mais en a-t-elle vraiment les moyens?
Au lendemain de l’attentat à Saint-Pétersbourg, Andre Liebich, professeur honoraire au Graduate Institute de Genève et spécialiste de la Russie et de l’Europe de l’Est donnait ce mardi une conférence intitulée «Quelle place pour la Russie dans le monde?» Un décryptage des atouts et handicaps du président Vladimir Poutine, à l’heure où le maître du Kremlin est devenu un acteur incontournable sur la scène internationale.
Danger dans le Caucase
L’attentat de lundi dans le fief de Poutine, c’est le prix à payer pour sa politique de puissance, estime le professeur. Cela faisait longtemps qu’il n’y en avait pas eu en Russie. «Bien sûr, le président sait tourner le terrorisme à son avantage. Par le passé, l’enjeu sécuritaire a même joué un rôle clé dans son ascension au pouvoir. Mais le problème, c’est que le pays compte 20% de musulmans, une population qu’il cherche à intégrer. L’intervention militaire en Syrie servait notamment à signaler que l’extrémisme islamiste est un phénomène étranger. Or, des milliers de djihadistes russes en reviennent. Le risque de déstabilisation dans le sud de la Fédération russe est important… alors même que le président tchétchène échappe au contrôle de Moscou.»
Montée de la russophobie
L’autre «prix à payer», ajoute le professeur, c’est la montée de la russophobie en Occident. «Aux Etats-Unis, la suspicion d’ingérence par Moscou est utilisée pour contester Donald Trump parce qu’elle parvient à unir l’opposition démocrate et les républicains embarrassés. Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait eu plus d’espionnage que d’habitude. Et cela n’a pas pu altérer le résultat du scrutin. Vladimir Poutine était aussi surpris que content du résultat. Mais depuis, il a déchanté.» A Washington, l’heure n’est plus aux discours prorusses.
Andre Liebich note que la russophobie monte également dans une Europe très divisée sur l’attitude à adopter face au maître du Kremlin. Son annexion de la Crimée, son rôle dans la crise de l’Est ukrainien, ses amitiés affichées avec des leaders populistes au sein de l’UE... Tout cela a tendu les relations. Résultat: «La Russie, de culture européenne, se tourne vers Pékin. Mais c’est un pis-aller. Elle aurait préféré rester dans le camp occidental. Ce n’est pas confortable, une alliance avec la Chine, dix fois plus peuplée et dotée d’une économie en plein essor. A l’époque communiste déjà, les relations n’étaient pas faciles!»
La popularité de Poutine
Cela dit, relève le professeur, «Vladimir Poutine est parvenu à son objectif: la Russie est redevenue une puissance dont il faut tenir compter. Et cela, malgré des handicaps majeurs, comme l’incroyable étendue de son pays (le plus grand du monde), un Produit national brut en recul, une économie vulnérable parce que dépendante de l’exportation des matières premières et donc des variations de prix, mais aussi malgré des dépenses militaires faibles» comparé à l’OTAN.
Ses atouts? «Un leadership autoritaire, la manipulation de l’opinion publique, les dissensions européennes dont il tire profit, ses décisions imprévisibles (en Ukraine ou en Syrie) et le recours à la force sans mauvaise conscience», énumère le professeur. L’essentiel étant de rendre à la Russie son rôle de puissance mondiale, un programme toujours très populaire. Vladimir Poutine remportera certainement l’élection présidentielle l’an prochain.
Si d’anciens empires comme le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal ou le Danemark se sont accommodées d’un rôle plus modeste, la Russie reste visiblement traumatisée par le brusque effondrement de l’ex-Union soviétique, suivi d’une décennie de chaos et d’inflation galopante.
La Tribune de Genève, Andrés Allemand, 5 avril 2017