Maurine Mercier, ancienne étudiante de l’Institut, est journaliste et correspondante à Kiev pour la RTS et d’autres médias francophones. Elle a récemment été récompensée par le Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre et le Prix du journalisme radio des Médias francophones publics (MFP) pour sa couverture de la guerre en Ukraine et par le Prix Jean Dumur pour son travail en Ukraine mais surtout en Lybie et en Tunisie. Elle a tout dernièrement été nommée journaliste de l’année lors de l’attribution du Prix suisse des médias.
Comment êtes-vous arrivée au journalisme ?
J’y suis arrivée par défaut et non par vocation. C’est le voyage, la découverte du monde et le souhait de sortir de cette coquille suisse qui m’ont poussée à faire du journalisme. J’aurais préféré être photographe, mais je n’en avais pas le talent. J’ai aussi pensé à l’aide humanitaire. Finalement, je suis tombée amoureuse de la radio car c’est un vecteur formidable qui permet d’informer dans le respect des interlocuteurs et des auditeurs, sans rester avachi derrière un écran et en faisant fonctionner son imaginaire tout en continuant ses activités. J’ai beaucoup d’estime pour ce média terriblement moderne.
Pourquoi choisir le journalisme de guerre et quelles ont été vos premières expériences ?
Je ne sais pas si j’ai choisi le journalisme de guerre. C’est plutôt le désir de voyager et de faire du terrain qui m’y ont amenée. J’ai aussi du mal à accepter que l’on ne parle plus de guerres comme en Libye ou dans le Donbass. C’est dans le Donbass que j’ai vécu ma première expérience de guerre, en 2014. Les gens se sont vite lassés de ce conflit qui est pourtant la prolongation de celui que l’on vit aujourd’hui. Comme pour la Libye, ce n’était pas forcément évident pour les rédactions de s’y intéresser.
Quand j’ai commencé à couvrir la guerre en Libye, les autorités libyennes ne délivraient pratiquement plus de visas aux journalistes. La Libye est devenue un trou noir à 350 kilomètres des côtes européennes, alors que l’Europe a aussi pris part à la révolution qui s’est transformée en guerre civile en 2011. La Libye est le théâtre d’une crise migratoire dont on ne veut plus entendre parler côté européen. Je me disais que notre responsabilité, en tant que journalistes, était de couvrir ce pays. Je déteste la guerre. Je ne supporte pas la violence. Mais il est de notre devoir de ne pas faire les autruches. Ce sont mes véritables motivations. Pour comprendre, il faut être là, il faut couvrir. Le journalisme de guerre, c’est pour éviter l’oubli.
Est-ce un handicap ou un atout d’être une femme dans ce métier ?
Pour moi, cela a été un formidable atout d’être une femme, notamment en Libye. Quand on est un journaliste homme, on ne peut pas pénétrer dans les maisons et interroger les femmes. On se prive de la moitié des habitants d’un pays. Souvent, les Libyens me disaient « tu nous épates », « tu prends des risques ». Ils avaient vu débarquer des hommes journalistes et pensé qu’ils étaient là pour dire qu’ils avaient « fait » la Libye comme une forme d’exploit. Comme je suis revenue constamment dans le pays durant six ans, ils ont compris que je n’étais pas là pour parler de moi, mais de la situation en Libye et des Libyens.Être femme, cela permet aussi de se cacher derrière un voile et des lunettes de soleil. L’un des risques, en Libye, est le kidnapping, aussi pour les Libyens d’ailleurs.
Être une femme est aussi un avantage lorsque l’on travaille sur la difficile et essentielle question des viols, comme je l’ai fait en Libye, en Tunisie et maintenant en Ukraine. J’ai recueilli à Boutcha le témoignage d’une mère violée deux semaines durant par des militaires russes. Elle s’est dénudée devant moi pour me montrer les coups, les marques et ses blessures, ce qui aurait été impossible avec un journaliste homme.
Vos études à l’Institut sont-elles utiles pour votre profession ?
Je ne pense pas avoir été l’étudiante la plus assidue parce que je rêvais déjà d’ailleurs. C’était le seul endroit où l’on étudiait des matières internationales et j’ai pu le faire sans la frustration que j’aurais subie dans à peu près toutes les autres facultés. Mon objectif était de passer mes examens et de partir quatre mois chaque année pour découvrir la Chine, l’Amérique latine. L’Institut m’a aussi offert des cadres d’analyse très précieux.
Pourquoi vous êtes-vous installée en Ukraine ?
Un peu pour les mêmes raisons que celles qui m’ont poussée à m’installer six ans en Afrique du Nord. J’ai besoin de vivre dans un pays pour me sentir légitime dans ma démarche journalistique et à ma juste place pour comprendre les situations. Vivre dans un pays en guerre, c’est aussi subir la guerre et parler des Ukrainiens qui souffrent. Cela permet de ressentir au plus près cette peur, cet état d’hypervigilance dans lequel on entre souvent, cette atmosphère qui est très dure à supporter parce que la mort plane tout le temps. Cela permet de trouver des idées de sujets et de mieux comprendre les gens.
J’ai aussi très à cœur de couvrir les événements sur le long terme. L’actualité, c’est bien, mais la compréhension nécessite du temps. L’Ukraine, comme cela se passe très souvent, va lasser. C’est alors que l’on peut essayer de dérouler des sujets sur des durées plus longues et mettre en lumière toutes ces zones grises que l’on ne voit pas quand on est là juste en coup de vent. Pour l’instant les projecteurs sont encore braqués sur l’Ukraine mais j’imagine qu’avec les mois, ils se déplaceront vers d’autres événements, d’autres drames et d’autres pandémies. Et moi, je m’engage à rester sur place car cela est nécessaire.
Cet article a été publiée dans Globe #31.
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