Pandore est une ruse de Zeus. C’est elle qui va porter la vengeance des dieux contre les hommes pour punir le vol du feu par Prométhée et l’orgueil (hubris) qui en a découlé. Pandore est une statue façonnée par le divin forgeron, Héphaïstos. Athéna lui donne vie et Aphrodite la rend belle. Quant à Hermès, il lui apprend le mensonge, l’art de la persuasion et surtout la curiosité. Les dieux sont en colère et lancent Pandore dans le monde des hommes avec une jarre (« boîte ») mystérieuse qu’ils lui interdisent d’ouvrir.
Une fois installée parmi les hommes, Pandore ne résiste pas longtemps à sa curiosité et décide d’ouvrir la jarre. S’en échappent tous les maux que les dieux vengeurs imposent à l’humanité – la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la folie, la haine, la violence, la misère et tant d’autres… Affolée, Pandore veut refermer la jarre, mais il est trop tard. Seul l’espoir y reste enfermé.
Le feu de Prométhée, ce progrès qui nous était promis, n’a pas mis fin à la tempête de maux échappée de la jarre de Pandore. Au contraire, il semblerait plutôt ces dernières années qu’elle redouble d’intensité. La solution se trouverait-elle au fond de la jarre, dans l’espoir ? La réponse n’est pas si simple – tout dépend de la nature véritable de ce principe d’espoir.
Depuis Aristote, l’espoir est défini comme une passion. Le mot passion vient du latin pati qui signifie souffrir, endurer, se résigner, pâtir. Pour Aristote et pour de nombreux philosophes après lui, la passion est donc le fait de subir, d’être mû et contraint par ce qui échappe à notre vouloir. La passion est passive, au contraire de la raison (ratio) qui implique volonté et action. Pour les stoïciens, mais aussi pour Descartes, les passions sont des perturbateurs de la raison, des maladies de l’âme : la passion est ce que je subis, l’action (et donc la raison) est ce que j’impulse.
Si l’espoir est une passion, il est donc une attente passive. L’espoir nous tient debout par la projection d’un bien futur qui s’impose comme un mirage en plein désert. Poussé à l’extrême, il peut même nous donner un sentiment de sécurité qui rend inutile toute forme d’action. Espérer l’avenir, c’est oublier de le construire – et se retrouver immanquablement à un moment ou à un autre face aux désillusions. La sagesse populaire ne s’y est pas trompée, qui nous dit que « l’espoir fait vivre » mais qui nous parle aussi « d’espoirs déçus », de « faux espoirs », « d’espoirs trompeurs ». L’espoir au fond de la jarre serait-il donc l’ultime ruse des dieux en colère ?
C’est possible mais il existe une alternative. Là où la langue anglaise n’a qu’un seul mot – hope – le français en compte deux – espoir et espérance – qui sont souvent utilisés de manière interchangeable. Dans un essai de 1972 au titre évocateur, L’espérance oubliée, le philosophe Jacques Ellul propose une lecture conceptuelle qui suggère une différence majeure. Portant un regard critique sur la société technicienne qui transforme jusqu’à l’être humain et tend à le mettre à son service, il nous incite au mouvement, à l’action libératrice. Ce faisant, il nous garde contre l’espoir qui est « l’entretien des illusions » : « L’espoir est la malédiction de l’homme. Car l’homme ne fait rien tant qu’il croit qu’il peut y avoir une issue qui lui sera donnée. Tant que, dans une situation terrible, il s’imagine qu’il y a une porte de sortie, il ne fait rien pour changer la situation » (p. 132).
L’espérance par contre, nous dit Ellul, est le fondement de toute résistance sérieuse, particulièrement lorsque le pire paraît certain. L’espérance est une véritable mise en mouvement, une ouverture réelle vers l’inconnu même quand la démarche semble désespérée. Dans son ouvrage de 1953 La liberté pour quoi faire, l’écrivain français Georges Bernanos nous propose une synthèse claire : « L’espérance est une vertu héroïque. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prenaient faussement pour de l’espérance » (p. 107).
Il est fort possible – et nous nous devons d’y croire – que ce soit l’espérance et non l’espoir qui se trouve au fond de la jarre de Pandore. Auquel cas, l’état du monde exige qu’elle soit libérée au plus vite !
Cet éditorial a été publié dans Globe #33, la revue de l'Institut.