Le 8 décembre 2024, la longue nuit syrienne prend soudain fin. Après 53 ans, la dynastie des Assad, qui a imposé au pays une dictature héréditaire et féroce, s’effondre. Au Proche et Moyen-Orient, cet événement majeur entraîne une modification considérable des rapports de force. Privé du soutien de ses alliés iranien et russe, le régime est parvenu à tenir à peine une douzaine de jours face à l’avancée des rebelles. Le renversement d’une dictature honnie ouvre certes de nouvelles perspectives intéressantes à la Syrie, mais qu’il soit dû en grande partie au Hayat Tahrir Al Cham (HTC), un groupe armé dont l’homme fort, Ahmed Al-Charaa, est issu d’une mouvance islamiste radicale, ne rassure pas totalement la communauté internationale ni l’ensemble de la société syrienne, plus particulièrement les femmes et les minorités religieuses et ethniques.
Comment les nouveaux dirigeants de la Syrie pourront-ils imposer leur autorité sur l’ensemble du pays et conserver l’intégrité territoriale de l’État ? Est-ce qu’ils parviendront rapidement à imposer une structure étatique acceptée par au moins une partie importante de la population ? Avec quels moyens et quels soutiens de l’étranger pourront-ils lancer un programme de reconstruction du pays ? À ces questions, et bien d’autres, il est trop tôt pour trouver même des débuts de réponses. En revanche, on peut déjà essayer d’esquisser les conséquences géopolitiques, au niveau international et régional, de la fin du régime des Assad. Dans ce bref article, on se bornera à évoquer les cas de la Turquie, de la Russie et de l’Iran, trois pays très impliqués dans les affaires syriennes.
Dès mars 2011, quand le Printemps arabe en Syrie se transforme en un soulèvement national, Ankara va s’impliquer aux côtés des opposants au pouvoir de Damas. Durant treize ans, la guerre civile syrienne devient un enjeu majeur pour la Turquie. Pendant quatre siècles, la Syrie a été une des provinces importantes de l’Empire ottoman. Les deux pays partagent une frontière terrestre longue de plus de 900 kilomètres, le long de laquelle vivent des populations faisant souvent partie des mêmes communautés ethniques ou religieuses, tels les Kurdes dont certaines organisations politico-militaires sont en conflit armé avec Ankara. Ce contexte, ajouté à la présence en Turquie de plus de 3 millions de réfugiés syriens, n’a pas laissé aux autorités turques d’autre choix que le soutien aux mouvements contestant la mainmise du clan Assad sur le pouvoir chez leur voisin syrien. Le fait que pour l’heure ce soit le HTC, soutenu par la Turquie, qui est arrivé au pouvoir à Damas constitue une vraie victoire pour Ankara, qui compte aider le nouveau régime dans sa reconstruction institutionnelle, économique et militaire.
À l’inverse de la Turquie, pour la Russie et l’Iran, qui ont soutenu le régime syrien depuis de nombreuses années, le renversement de Bachar el-Assad est pour la première un grave revers et pour le deuxième une véritable défaite. Le fait que la Russie ne soit pas parvenue à contenir l’effondrement de l’armée de son allié syrien porte un coup grave à son prestige, surtout dans les pays africains où elle essaie de développer ses capacités d’influence. En Syrie même, elle travaille à préserver l’essentiel de sa présence militaire, soit sa base maritime à Tartous et sa base aérienne à Hmeimim. Quant à l’Iran, qui depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988) a eu comme seul État arabe allié la Syrie, il perd gros car dans ce qu’il appelle « l’Axe de la résistance », regroupant le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites, des factions chiites irakiennes, le Hamas et le Jihad islamique palestiniens, la Syrie de Bachar occupait une position stratégique essentielle pour le soutien matériel iranien à ses proxies sur la partie occidentale de l’Axe, riveraine de la Méditerranée.