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International history
05 April 2017

La chasse aux sorcières aux USA par le Prof. honoraire Andre Liebich

L’Amérique a oublié que tous les Etats, surtout les grandes puissances, pratiquent l’espionnage, parfois avec acharnement.

Andre-Liebich.png (Andre-Liebich.png)A la fin du 17e siècle la ville de Salem dans la colonie (aujourd’hui état américain) de Massachusetts a connu une chasse aux sorcières. Cet événement a fait l’objet d’oeuvres dramatiques et académiques qui n’ont cessé de s’interroger sur cette hystérie collective. Aujourd’hui l’Amérique entière est en proie à un affolement national, magnifié par les puissants ressorts des média. Les sorcières en question sont russes avec le président Poutine comme sorcière en chef, accusés de s’être ingérés dans les élections présidentielles américaines pour porter Donald Trump au pouvoir.

Soyons clairs. Il n’y a aucun doute que la Russie ait essayé de pénétrer les serveurs officiels et officieux des Etats-Unis.

C’est pour ça que les services d’espionnage existent et personne ne doute de l’engagement de la FSB (Federal’naya Slujba Bezopastnosti), digne héritier de la KGB de sinistre mémoire, ou de la GRU (Glavnoe Razvedstvennoe Upravlenie) le service russe d’espionnage militaire. Par ailleurs, si le Kremlin a fait semblant de rester discret sur ces préférences aux élections, nul ne conteste qu’il regardait la candidature de Trump avec plus de bienveillance que celle de Hillary Clinton.

Mais rappelons-nous que tous les Etats, surtout les grandes puissances, pratiquent l’espionnage, parfois avec acharnement.

Ces «monstres froids» qui sont les Etats ont peu d’égard pour la confidentialité des informations étrangères, même celles de leurs proches amis ou alliés. Cela vaut également pour les Etats-Unis. Il n y a pas longtemps, la fidèle chancelière allemande Angela Merckel était choquée – oui, choquée – d’apprendre que son téléphone portable était sur écoutes de la NSA (National Security Agency) américaine.

Et on a vite oublié la manchette du magazine Time lors de la réélection du président russe Boris Eltsine en 1996: les «Yanks» volent au secours du président russe.

Ce qu’on pourrait reprocher à la Russie de Poutine c’est de laisser publier les informations négatives seulement sur le parti démocrate. C’est largement vrai mais avouons que personne n’a contesté l’exactitude des informations publiées, que ce soit les tentatives de l’«establishment» du parti démocrate de barrer la route au candidat gauchisant, le sénateur Bernie Sanders, pour laisser la voie libre à Hillary Clinton ou les révélations sur les discours lénifiants tenus par Hillary Clinton devant les banquiers tenus responsables de la grande crise économique de 2008.

Mais ce sont les sources autochtones qui se sont occupées du dénigrement de Trump en faisant publier l’enregistrement de ses dires scabreux sur les femmes.

Et c’est sans doute le responsable de la FBI qui a fait plus pour discréditer Hillary Clinton, en rouvrant une enquête sur ses courriels, que les fuites venant supposément de sources russes. Le plus triste c’est qu’on devrait contester Trump sur pratiquement tous les autres aspects de sa politique plutôt que sur son attitude envers la Russie.

Avant même d’entrer à la Maison blanche il a commencé à démanteler le premier système d’assurance santé universel que l’Amérique ait connu. Ses propos et ses nominations confirment son scepticisme à l’égard de toute mesure de défense de l’environnement.

Et en politique étrangère, sa détermination d’invalider l’accord avec l’Iran qui a tranquillisé le monde quant à la perspective d’une nouvelle puissance nucléaire et son appui bruyant aux éléments les plus intransigeants de la droite israélienne, méritent une critique univoque.

Et, pourtant, c’est la volonté de Trump d’améliorer les relations avec la Russie que constitue la plus lourde charge contre lui à travers l’Amérique. Même le très respecté vétéran de la lutte pour les droits civils, John Lewis, motive son refus de reconnaître la légitimité du Président Trump par l’ingérence russe dans la campagne électorale. Il aurait mieux fait d’évoquer la menace que la présidence Trump représente pour les droits acquis des minorités.

Le commentateur harvardien, Stephen Walt, s’est lamenté du fait que la position de Trump quant à la Russie entoure toute amélioration des rapports avec la deuxième puissance nucléaire du monde d’une mauvaise odeur.

Les relations américano-russes sont tombées à leur plus bas niveau depuis l’époque de la Guerre froide mais le seul candidat, actuellement président, qui déclarait vouloir une réduction de tension est traité de marionnette du Kremlin.

Comment expliquer cette obsession américaine de chasser les prétendues sorcières russes? Ce n’est pas la contestation envers Trump, à laquelle on souscrit bien volontiers, qui mérite une réflexion mais le fait qu’on le conteste précisément sur ce point de sa politique.

Une volonté de ses adversaires de s’expliquer leur défaite? Une antipathie envers la Russie parmi les décideurs de la politique étrangère américaine qui ont grandi à l’époque de la Guerre froide et qui voient la Russie comme une réincarnation de l’Union soviétique? Une manoeuvre de la grande industrie américaine qui cherche à gonfler les budgets militaires en invoquant une présumée menace russe?

Chacune de ces explications a été invoquée sans être entièrement convaincante. Entretemps, le Président Trump, connu pour ses brusques changements de vue, pourrait très bien laisser tomber sa disponibilité à trouver une entente avec la Russie pour endosser le point de vue belliqueux et l’aveuglement hostile.

* Professeur honoraire histoire et politique internationales Graduate Institute, Genève

L’Agefi, Andre Liebich*, 26 janvier 2017