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25 January 2017

«Je quitte l’ONU pour garder ma liberté de parole sur l’Afrique»

Carlos Lopes (MDEV 1982), patron de la Commission économique pour l’Afrique, tire sa révérence après quatre ans d’un travail souvent provocateur.

Carlos Lopes (MDEV 1982), patron de la Commission économique pour l’Afrique, tire sa révérence après quatre ans d’un travail souvent provocateur.

Il reprend sa liberté, mais Carlos Lopes l’a-t-il jamais perdue? Voilà un brillant et bouillonnant économiste de 56 ans, originaire de Guinée-Bissau, qui aurait pu s’engluer dans l’une des administrations de la planète la plus propice au sommeil salarié : la Commission économique pour l’Afrique (CEA), dépendant des Nations unies, basée à Addis-Abeba et censée travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine, une autre organisation dont le dynamisme n’est pas garanti.

Carlos Lopes a fait tout le contraire. Nommé en 2012, il a transformé la CEA en think tank produisant des idées presque toujours provocatrices. Dans une interview exclusive accordée au Monde Afrique, le sous-secrétaire général des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique annonce son départ d’un poste qu’il occupait depuis quatre ans. Pas de brouilles ni de désaccords idéologiques avec ses tutelles derrière sa décision mais une volonté assumée de maîtriser son avenir. Et, surtout, de préserver «la pensée alternative» qu’il a su faire pénétrer dans les arcanes les plus orthodoxes des institutions internationales, dont il dénonce parfois la «pensée unique». A un moment où l’Union africaine et les Nations unies renouvellent leurs dirigeants, il préfère se mettre en retrait. Explications.

Quelles sont les raisons de votre départ ?

Carlos Lopes - Les Nations unies, avec le renouvellement du secrétaire général, tout comme l’Union africaine, avec la succession de Mme Dlamini-Zuma, sont entrées dans une période de transition. Je ne me voyais pas rester spectateur. Ce n’est pas une position confortable. Je préfère maîtriser le calendrier de ma sortie. Il faut savoir quitter une institution lorsqu’on est en haut, pas en bas. Il est toujours préférable de pouvoir négocier en position de force.

Redoutiez-vous que votre travail et vos idées ne soient remis en cause ?

Non, personne ne conteste qu’au cours des quatre dernières années la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a largement alimenté la réflexion sur le modèle de développement que doit emprunter l’Afrique. Nous avons réussi à mettre sur le radar de nos dirigeants des sujets qui restaient absents ou marginaux, comme la question de l’industrialisation ou du financement des économies à partir des ressources domestiques.

Nous avons également traité de la fuite illicite des capitaux, de la dette, des indices de corruption biaisés, et de bien d’autres choses. Je n’ai pas été un dirigeant passif. J’ai souvent été provocateur et j’ai dû secouer pas mal de cocotiers. C’est à ce prix que j’ai pu faire exister une voix alternative. L’important est pour moi de préserver ma liberté de parole. Je verrai ensuite s’il existe une institution dans laquelle je peux continuer ce travail. Pas l’inverse.

Vous êtes en effet souvent apparu comme un provocateur dans cet univers du développement souvent peu imaginatif. Pourquoi ce point de vue toujours alternatif ?

Parce que c’était le seul moyen de faire avancer les choses ! Le discours optimiste sur l’Afrique, qui a émergé au début de la décennie, a eu paradoxalement un effet anesthésiant sur la réflexion des Africains. Il a contribué à une forme de paresse intellectuelle. Le portrait de l’Afrique qui émerge en 2010 du fameux rapport «Lions on the move» de McKinsey est celui d’un continent qui offre de grandes opportunités, pas celui d’un continent qui doit se transformer. C’est un appel aux investisseurs à prêter attention à une opportunité oubliée, à un endroit où ils pourraient gagner plus d’argent qu’ailleurs. Les Africains ont absorbé cette narration comme une sorte de compensation au discours afro-pessimiste qui avait prévalu au cours des décennies précédentes et dont ils avaient beaucoup souffert. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de faux dans ce propos, car il faut évidemment un niveau d’ambition beaucoup plus élevé sur la transformation structurelle des économies africaines. Il ne faut pas se contenter de parler des opportunités de marché.

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