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Anthropology and sociology
20 October 2016

IXe Rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques (Paris, 20-21 octobre 2016)

« La propriété intellectuelle : nouvelles formes, nouveaux enjeux »

Voir le programme

Inscription obligatoire : fasopo2@yahoo.fr


La propriété intellectuelle constitue de longue date un enjeu majeur pour la concurrence économique, les luttes sociales, civiques et politiques, ou les tensions économiques interétatiques. Elle représente un objet non moins central de la pensée juridique, économique, philosophique, religieuse, voire pédagogique. Au-delà des intérêts économiques qu’ils représentent, les droits de propriété intellectuelle deviennent, de par leurs usages et leur expansion, des instruments de pouvoir et de domination politique, sociale et culturelle. En étant un rouage essentiel de production et d’attribution de sens et de valeur, en rendant possible leur contrôle par des acteurs économiques, ils permettent le déploiement de nouvelles stratégies d’appropriation d’objets matériels et immatériels.

Les approches critiques classiques ont concentré leurs analyses sur les fondements et les justifications des droits de propriété intellectuelle dans la perspective même des objectifs qui leur étaient assignés (principalement la valorisation et la diffusion de la création et de l’innovation), afin de dévoiler les modes d’exercice de pouvoir et de domination qui pouvaient résulter de leur exploitation. Mais, ce faisant, elles ont tendu à délaisser les opérations et les pratiques concrètes des acteurs destinées à créer de la valeur et à tirer un pouvoir économique, politique, culturel des droits de propriété intellectuelle. Surtout, elles ont négligé le fait que ces droits concernent des objets porteurs de sens, et qu’ils contribuent à construire ces objets. D’où l’importance de s’interroger, dans des contextes précis, sur les pratiques, voire les stratégies, de pouvoir (et de contre-pouvoir) qui reposent sur un contrôle du sens véhiculé et réservé par la propriété intellectuelle.

Présenté comme l’un des instruments majeurs de l’économie de la connaissance, la propriété intellectuelle connaît un essor constant, tant dans l’utilisation massive qu’en font les acteurs économiques que dans les réformes successives qui étendent progressivement la portée des monopoles conférés. Ces droits semblent en effet jouer un rôle pivot dans une économie de la valorisation, fondée sur la création ou l’accroissement de la valeur des choses, sur des « processus d’enrichissement des choses », selon l’expression d’Arnaud Esquerre et Luc Boltanski. La propriété intellectuelle regroupe ainsi quelques-uns des principaux mécanismes de valorisation économique de certaines catégories d’idées (idées techniques, idées originales, signes distinctifs, données) que l’analyse économique essaie trop souvent d’expliquer à partir de modèles théoriques ne coïncidant pas, ou très peu, avec les stratégies effectives des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Il convient d’analyser non seulement les multiples processus de création et d’attribution de valeur économique issue des idées faisant l’objet d’un droit de propriété, mais également les processus qui sont à l’œuvre en dehors du champ de ces monopoles, par exemple sur les marchés de la contrefaçon ou, tout simplement, sur les marchés des choses relevant du domaine public. Il s’ensuit des effets distributifs sur les capacités d’agir, de dominer, de contrôler des différents acteurs impliqués dans la circulation et l’usage de ces idées. Cela n’exclut ni de possibles renversements (ou la subversion) de ces mécanismes, dans le cadre de stratégies d’évitement ou de contournement de la valeur, ni l’émergence de stratégies frontales de dévalorisation (atelier 1).

La propriété sur des objets physiques a longtemps été le modèle à partir duquel la propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques ou brevets) a été pensée. Son expansion a d’ailleurs été soutenue et accélérée par une transposition de discours de justification et de mécanismes juridiques issus des droits de propriété, tendant à remettre en question la portée et les limites spécifiques de ces droits. C’est aujourd’hui la propriété intellectuelle qui tend à servir de modèle pour construire de « nouveaux droits » (sur les données personnelles, les secrets d’affaire notamment), en négligeant souvent d’imaginer des limites fonctionnelles spécifiques à ces nouveaux contrôles ou appropriations. Illustration symptomatique, le problème de l’usage des données personnelles, constitutives de l’identité des individus, ne se résume pas aux simples questions de confidentialité et de respect de la vie privée. S’affirme, tant dans les projets réglementaires, au niveau national ou européen, que dans les pratiques contractuelles, un mouvement qui tend à dessiner une forme de contrôle exclusif sur les données collectées, notamment par le biais de leur appropriation de facto, sinon de jure, à l’avantage de grands groupes économiques qui les rétrocèdent, en les marchandisant, après les avoir recueillies. Le Législateur conforte souvent cette évolution, sous couvert de défense des droits des consommateurs ou des citoyens, en voulant rendre les individus « propriétaires » de leurs données personnelles. Les représentations et les pratiques de la santé, de l’éducation, de la démocratie ou, plus trivialement, de la consommation s’en trouvent bouleversées, changeant les rapports de force et les stratégies de pouvoir et incitant à imaginer de nouveaux modes de contrôle et de circulation des données en dehors des modèles fondés sur la propriété physique (atelier 2).

Il n’empêche que le mouvement d’appropriation des objets intellectuels ne constitue pas un processus linéaire. Il donne lieu à des luttes sociales intenses, dont l’issue est contingente. Ainsi, l’émergence du savoir orientaliste, à partir du XVIIIe siècle, est allée de pair avec son accaparement par les érudits occidentaux qui ont progressivement relégué au rang de simples informateurs leurs collègues lettrés du cru, en même temps qu’ils marchandisaient, sous leur nom propre, ces connaissances accumulées de concert, dans l’enceinte des universités ou des académies et sur le marché de l’édition des métropoles impériales : l’appropriation privée des idées par les uns s’est accompagnée de la dépossession des autres, au fur et à mesure qu’ils étaient « traditionalisés » et « orientalisés ». Dans une grande confusion juridique, idéologique et technique, c’est une partie similaire qui se joue aujourd’hui au sujet des savoirs traditionnels et des réserves génétiques qu’abritent certaines sociétés isolées, érigées en dépositaires de la diversité. Considérés classiquement comme relevant du domaine public, ces savoirs traditionnels, au milieu du XXe siècle, ont commencé à faire l’objet de droits spécifiques, et notamment de droits de propriété intellectuelle, sans que cela ait forcément correspondu à des revendications des populations locales concernées, et ils ont pu être commercialisés. La question se pose aujourd’hui de « protéger » ces savoirs traditionnels par de nouveaux droits de la propriété intellectuelle, au nom de l’empowerment des « communautés autochtones », sans pour autant prendre en compte les éléments de contexte techniques, scientifiques, sociaux sur lesquels reposent lesdits droits de la propriété intellectuelle. Il serait pourtant particulièrement éclairant de s’intéresser aux multiples techniques de contrôle des idées qui ont été utilisées au gré de l’apparition des techniques dans l’histoire pour concevoir des moyens de contrôle et de maîtrise de ces savoirs qui ne relèveraient pas de l’exclusivité économique constitutive de l’idée de propriété intellectuelle, et intégreraient plutôt les pratiques et les systèmes de connaissance locaux (atelier 3).

En définitive, la propriété intellectuelle est au coeur de l’aide publique au développement, des problématiques de transfert de technologies vertes qui entrent dans les négociations sur la lutte contre le réchauffement climatique, des relations entre le secteur public et le secteur privé, de la création de la richesse et de sa répartition, de la définition de la cité et de la délimitation de la subalternité sociale, de la défense de l’environnement et de la diversité génétique.


 

« La propriété intellectuelle : nouvelles formes, nouveaux enjeux »

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La propriété intellectuelle constitue de longue date un enjeu majeur pour la concurrence économique, les luttes sociales, civiques et politiques, ou les tensions économiques interétatiques. Elle représente un objet non moins central de la pensée juridique, économique, philosophique, religieuse, voire pédagogique. Au-delà des intérêts économiques qu’ils représentent, les droits de propriété intellectuelle deviennent, de par leurs usages et leur expansion, des instruments de pouvoir et de domination politique, sociale et culturelle. En étant un rouage essentiel de production et d’attribution de sens et de valeur, en rendant possible leur contrôle par des acteurs économiques, ils permettent le déploiement de nouvelles stratégies d’appropriation d’objets matériels et immatériels.

Les approches critiques classiques ont concentré leurs analyses sur les fondements et les justifications des droits de propriété intellectuelle dans la perspective même des objectifs qui leur étaient assignés (principalement la valorisation et la diffusion de la création et de l’innovation), afin de dévoiler les modes d’exercice de pouvoir et de domination qui pouvaient résulter de leur exploitation. Mais, ce faisant, elles ont tendu à délaisser les opérations et les pratiques concrètes des acteurs destinées à créer de la valeur et à tirer un pouvoir économique, politique, culturel des droits de propriété intellectuelle. Surtout, elles ont négligé le fait que ces droits concernent des objets porteurs de sens, et qu’ils contribuent à construire ces objets. D’où l’importance de s’interroger, dans des contextes précis, sur les pratiques, voire les stratégies, de pouvoir (et de contre-pouvoir) qui reposent sur un contrôle du sens véhiculé et réservé par la propriété intellectuelle.

Présenté comme l’un des instruments majeurs de l’économie de la connaissance, la propriété intellectuelle connaît un essor constant, tant dans l’utilisation massive qu’en font les acteurs économiques que dans les réformes successives qui étendent progressivement la portée des monopoles conférés. Ces droits semblent en effet jouer un rôle pivot dans une économie de la valorisation, fondée sur la création ou l’accroissement de la valeur des choses, sur des « processus d’enrichissement des choses », selon l’expression d’Arnaud Esquerre et Luc Boltanski. La propriété intellectuelle regroupe ainsi quelques-uns des principaux mécanismes de valorisation économique de certaines catégories d’idées (idées techniques, idées originales, signes distinctifs, données) que l’analyse économique essaie trop souvent d’expliquer à partir de modèles théoriques ne coïncidant pas, ou très peu, avec les stratégies effectives des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Il convient d’analyser non seulement les multiples processus de création et d’attribution de valeur économique issue des idées faisant l’objet d’un droit de propriété, mais également les processus qui sont à l’œuvre en dehors du champ de ces monopoles, par exemple sur les marchés de la contrefaçon ou, tout simplement, sur les marchés des choses relevant du domaine public. Il s’ensuit des effets distributifs sur les capacités d’agir, de dominer, de contrôler des différents acteurs impliqués dans la circulation et l’usage de ces idées. Cela n’exclut ni de possibles renversements (ou la subversion) de ces mécanismes, dans le cadre de stratégies d’évitement ou de contournement de la valeur, ni l’émergence de stratégies frontales de dévalorisation (atelier 1).

La propriété sur des objets physiques a longtemps été le modèle à partir duquel la propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques ou brevets) a été pensée. Son expansion a d’ailleurs été soutenue et accélérée par une transposition de discours de justification et de mécanismes juridiques issus des droits de propriété, tendant à remettre en question la portée et les limites spécifiques de ces droits. C’est aujourd’hui la propriété intellectuelle qui tend à servir de modèle pour construire de « nouveaux droits » (sur les données personnelles, les secrets d’affaire notamment), en négligeant souvent d’imaginer des limites fonctionnelles spécifiques à ces nouveaux contrôles ou appropriations. Illustration symptomatique, le problème de l’usage des données personnelles, constitutives de l’identité des individus, ne se résume pas aux simples questions de confidentialité et de respect de la vie privée. S’affirme, tant dans les projets réglementaires, au niveau national ou européen, que dans les pratiques contractuelles, un mouvement qui tend à dessiner une forme de contrôle exclusif sur les données collectées, notamment par le biais de leur appropriation de facto, sinon de jure, à l’avantage de grands groupes économiques qui les rétrocèdent, en les marchandisant, après les avoir recueillies. Le Législateur conforte souvent cette évolution, sous couvert de défense des droits des consommateurs ou des citoyens, en voulant rendre les individus « propriétaires » de leurs données personnelles. Les représentations et les pratiques de la santé, de l’éducation, de la démocratie ou, plus trivialement, de la consommation s’en trouvent bouleversées, changeant les rapports de force et les stratégies de pouvoir et incitant à imaginer de nouveaux modes de contrôle et de circulation des données en dehors des modèles fondés sur la propriété physique (atelier 2).

Il n’empêche que le mouvement d’appropriation des objets intellectuels ne constitue pas un processus linéaire. Il donne lieu à des luttes sociales intenses, dont l’issue est contingente. Ainsi, l’émergence du savoir orientaliste, à partir du XVIIIe siècle, est allée de pair avec son accaparement par les érudits occidentaux qui ont progressivement relégué au rang de simples informateurs leurs collègues lettrés du cru, en même temps qu’ils marchandisaient, sous leur nom propre, ces connaissances accumulées de concert, dans l’enceinte des universités ou des académies et sur le marché de l’édition des métropoles impériales : l’appropriation privée des idées par les uns s’est accompagnée de la dépossession des autres, au fur et à mesure qu’ils étaient « traditionalisés » et « orientalisés ». Dans une grande confusion juridique, idéologique et technique, c’est une partie similaire qui se joue aujourd’hui au sujet des savoirs traditionnels et des réserves génétiques qu’abritent certaines sociétés isolées, érigées en dépositaires de la diversité. Considérés classiquement comme relevant du domaine public, ces savoirs traditionnels, au milieu du XXe siècle, ont commencé à faire l’objet de droits spécifiques, et notamment de droits de propriété intellectuelle, sans que cela ait forcément correspondu à des revendications des populations locales concernées, et ils ont pu être commercialisés. La question se pose aujourd’hui de « protéger » ces savoirs traditionnels par de nouveaux droits de la propriété intellectuelle, au nom de l’empowerment des « communautés autochtones », sans pour autant prendre en compte les éléments de contexte techniques, scientifiques, sociaux sur lesquels reposent lesdits droits de la propriété intellectuelle. Il serait pourtant particulièrement éclairant de s’intéresser aux multiples techniques de contrôle des idées qui ont été utilisées au gré de l’apparition des techniques dans l’histoire pour concevoir des moyens de contrôle et de maîtrise de ces savoirs qui ne relèveraient pas de l’exclusivité économique constitutive de l’idée de propriété intellectuelle, et intégreraient plutôt les pratiques et les systèmes de connaissance locaux (atelier 3).

En définitive, la propriété intellectuelle est au coeur de l’aide publique au développement, des problématiques de transfert de technologies vertes qui entrent dans les négociations sur la lutte contre le réchauffement climatique, des relations entre le secteur public et le secteur privé, de la création de la richesse et de sa répartition, de la définition de la cité et de la délimitation de la subalternité sociale, de la défense de l’environnement et de la diversité génétique.