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Alumni
26 August 2014

Drame de Gaza

Le témoignage de Pierre Krähenbühl, commissaire général de l’UNRWA.

Ex-directeur des opérations internationales du CICR, ce genevois de 48 ans diplômé de l’Institut en 1991, est à la tête de l’agence onusienne s’occupant des réfugiés palestiniens.

(…) Il est à Gaza l’homme de la situation, celui, principalement, de la survie qui s’organise et qui passe par le ravitaillement en eau, en nourriture, en produits d’hygiène, des problèmes sanitaires étant apparus, notamment d’ordre dermatologique. D’une surface moins grande que le canton de Genève, la bande de Gaza a cette particularité d’être un vaste camp de réfugiés palestiniens à elle toute seule, résultat des migrations ayant suivi les guerres israélo-arabes de 1948 et 1967. Elle en abrite 1,2 million pour une population totale de 1,8 million d’habitants. Dans cette phase d’urgence absolue, l’UNRWA y déploie 12 500 collaborateurs, hommes et femmes.

QUATRE CENT MILLE DÉPLACÉS

Les quatre semaines de conflit ont provoqué le déplacement de plus de 400 000 Gazaouis à l’intérieur même de l’étroit territoire, toute issue vers l’Egypte ou Israël étant impossible. «Parmi eux, 270 000, au plus fort de la crise, ont trouvé refuge dans 90 écoles gérées par l’UNRWA, soit 2700 à 3000 personnes par école et 80 à 85 personnes par salle de classe», explique le commissaire général, comme effrayé par les chiffres qu’il livre. Ce sont les bombardements meurtriers de Tsahal sur deux d’entre elles, ou «juste devant» dans un cas, à Jabalia d’abord puis à Rafah, alors que des civils y avaient trouvé refuge, qui ont amené Pierre Krähenbühl sur un terrain qui vaudra peut-être à Israël des poursuites pour crimes de guerre.

Des poursuites que souhaitent certaines associations ou organisations, le commissaire général de l’UNRWA se cantonnant toutefois à son domaine, en l’occurrence celui des déclarations publiques. «L’armée israélienne savait parfaitement que ces structures accueillaient des déplacés, dit-il. Dans le cas de Jabalia, nous l’en avions informée 17 fois; dans le cas de Rafah, 33 fois, y compris une heure avant que l’école ne soit touchée.»

Pierre Krähenbühl constate et rend compte. Il se garde bien d’établir une «intention» d’Israël dans la mort de civils palestiniens. Ce n’est pas là son rôle, lui qui entretient des rapports bilatéraux, d’une part avec l’Autorité palestinienne à Ramallah (de manière plus informelle avec le Hamas à Gaza, comprend-on), d’autre part, côté israélien, avec le Ministère des affaires étrangères. Son mandat a beau le placer aux côtés des Palestiniens, il ne tait pas ce qui ne peut être tu: «A trois reprises, nous avons trouvé des armes dans des écoles vides de l’UNRWA, entreposées là par des groupes armés, j’ignore lesquels.» Il précise et insiste: «Ce ne sont pas ces écoles-là qui ont été touchées par des tirs, celles qui l’ont été et dans lesquelles il y avait des déplacés devaient absolument être protégées.»

QUESTION IDENTITAIRE NON RÉSOLUE

Pierre Krähenbühl s’est rendu à deux reprises dans la bande de Gaza durant le dernier conflit. «Des destructions et des victimes se sont ajoutées à une situation qui était déjà intenable, comme je m’en étais aperçu peu après ma prise de fonctions. La levée du blocus semble nécessaire pour permettre le développement» de l’enclave palestinienne. Le commissaire général n’ignore pas les critiques visant son agence, la principale étant que l’UNRWA entretiendrait artificiellement depuis des décennies chez les réfugiés palestiniens une identité magnifiée, qui empêcherait les personnes concernées de faire le deuil de leur vieille appartenance. A cela, Pierre Krähenbühl répond: «Ce qui me frappe, chez les Palestiniens, ce ne sont pas tant les questions d’affiliation religieuse, c’est cette question identitaire non résolue. Les Palestiniens ont une identité forte, mais elle n’est pas aboutie dans le cadre de frontières ou d’un Etat.»

Plus les années passent, plus la résolution du conflit israélo-palestinien semble se rapprocher de l’impossible. Pierre Krähenbühl rapporte ce qu’un habitant de Gaza lui a confié: «Moi, je suis un homme bon, m’a dit cet homme, avant d’ajouter: mes enfants ne sont pas aussi bons que moi. Vous savez, j’ai 54 ans, j’ai commercé toute ma vie avec les Israéliens, j’ai beaucoup appris à leur contact en termes de responsabilités, de management, je comprends même leurs peurs et leurs craintes, mais vous devez savoir que nos enfants ne connaissent pas d’Israéliens, n’en ont jamais vu, ne savent pas à quoi ils ressemblent, ce qu’ils pensent. La seule chose qu’ils connaissent d’eux, c’est le blocus et l’arrivée de l’armée quand il y a des opérations militaires.»

Père de trois adolescents accomplissant leur scolarité en Suisse – «qui me rejoindront peut-être, mais pas tout de suite» –, marié à une Afghane qui développe des projets d’écoles et de cliniques dans son pays d’origine, où il a lui-même résidé en mission en 1994, lors d’une période les plus dures de l’histoire afghane récente, Pierre Krähenbühl avait dans sa jeunesse hésité entre la réalisation de documentaires et l’engagement humanitaire, entre l’observation du monde et l’action de terrain. Il a choisi l’action. En «rempilant», après le CICR, sur un théâtre mouvementé, chargé, celui-ci, de tous les symboles religieux, empli de toutes les déflagrations, il est servi.

Article complet d’Antoine Menusier in L’Hebdo, 14 août 2014