Michel Kafando (1972) désigné président de la transition pour stopper la désintégration du «Pays des hommes intègres».
C’est la fin d’une première phase. Et qui se termine beaucoup mieux qu’elle n’a commencé. Avec célérité: J + 17 ! Voilà le Burkina Faso doté d’un président de la transition qui n’a rien d’un «charlot», un homme d’expérience politique et diplomatique. L’homme qu’il faut à la place qu’il faut compte tenu de la situation qui prévaut actuellement dans le pays.
Une insurrection populaire totalement incontrôlée; un régime manifestement déliquescent; un président du Faso contraint à la démission; une conquête du pouvoir par une frange de l’armée après qu’une autre ait tenté une OPA sur Kosyam; des atermoiements et des tergiversations qui conduisent à la suspension de la Constitution et à un Etat d’exception de fait; une «charte de la transition» soumise par les partis politiques et la société civile à l’armée, adoptée hier. Et ce matin l’information tombe: le diplomate et ancien ministre des affaires étrangères, Michel Kafando, a été désigné pour stopper la désintégration du «Pays des hommes intègres».
Il n’est pas un pays en Afrique qui ait été capable en aussi peu de temps de passer du pire chaos politico-social à la résurgence d’un Etat de droit, même si ce droit-là est encore «exceptionnel». Avec la désignation d’un président de la transition dans ce contexte tendu et confus, on pouvait craindre le pire: le choix s’est fait sur un homme dont on peut penser qu’il a toutes les qualités exigées par l’article 3 de la «charte de la transition»: un civil, burkinabè de naissance, de plus de 35 ans et de moins de 75 ans, compétent, intègre, de bonne moralité, impartial, une personnalité de notoriété publique, n’ayant jamais fait l’objet d’une condamnation ou d’une poursuite judiciaire pour crime, reconnu pour son engagement dans la défense des intérêts nationaux, ayant une connaissance du fonctionnement des institutions et une expérience de leur gestion, n’ayant pas soutenu le projet de révision de l’article 37 de la Constitution, affilié à aucun parti politique.
Cet oiseau rare s’appelle Michel Kafando. Et en plus des qualités énumérées ci-dessus, c’est un homme qui ne manque pas d’humour, ce qui ne saurait nuire dans un pays qui vient de subir un sérieux traumatisme. Autant de raisons de cesser de désespérer; et d’espérer enfin.
Michel Kafando est né le 18 août 1942 à Ouaga. Et c’est dans la capitale de la Haute-Volta qu’il fera ses études au sein du Collège Saint Jean-Baptiste-de-La Salle, de 1956 à 1963, trois ans seulement après son ouverture. Il y décrochera son BEPC et le baccalauréat «sciences ex.». En 1964, il est à Dakar où il suit les cours de la faculté de droit et des sciences économiques mais aussi de journalisme. Ensuite, ce sera Bordeaux (1968-1970) puis Paris (1970-1972) avant de rejoindre Genève et son Institut de hautes études internationales et du développement et le Centre européen de la Dotation Carnegie pour la paix internationale (1972).
Titulaire d’une licence en droit public et d’un DES en sciences politiques, il va intégrer le ministère des affaires étrangères à son retour à Ouagadougou. Il va rapidement y gravir les échelons: directeur de la coopération internationale (1976-1978); directeur des relations internationales (1978-1979); directeur des organisations internationales (19790-1981). Il sera, dans le même temps, conseiller technique du ministre des affaires étrangères pour les questions juridiques et de coopération internationale (1978-1981) au temps de la IIIe République (le ministre des affaires étrangères est alors Moussa Kargougou dans le gouvernement d’Issoufou Joseph Conombo).
A la fin de l’année 1980, le colonel Saye Zerbo met fin à l’éphémère IIIe République et instaure un régime dirigé par le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) dont le premier gouvernement est formé le 7 décembre 1980. C’est dans son deuxième gouvernement, formé le 30 septembre 1982, que Michel Kafando va se voir confier le portefeuille des affaires étrangères et de la coopération en remplacement du lieutenant-colonel Félix Tientarboum.
En 1982, le CMRPN cède la place au Conseil du salut du peuple (CSP) dirigé par le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo. Kafando va conserver son portefeuille ministériel et demeurera le patron de la diplomatie voltaïque. Le capitaine Thomas Sankara sera un éphémère premier ministre de ce gouvernement du 19 janvier au 17 mai 1983. Dans le gouvernement formé le 4 juin 1983, Kafando est toujours aux affaires étrangères. Il y restera jusqu’à l’instauration, le 4 août 1983, du Conseil national de la révolution (CNR) dirigé par Sankara. Kafando, un libéral alors peu enclin à se soumettre aux jeux politiques des «révolutionnaires» et des «communistes»*, est remplacé par Hama Arba Diallo.
Kafando va alors retrouver les amphis de la vieille Sorbonne à Paris. Il va y soutenir, le 26 octobre 1990, une thèse de doctorat intitulée «Les Etats du Conseil de l’Entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Togo) et les pays de l’Est: de l’hostilité idéologique à l’ouverture diplomatique (1960-1990)». A noter que son directeur de thèse est le Béninois Maurice Ahanhanzo-Glélè; cette éminente personnalité juridique africaine, a présidé la commission de relecture de la Constitution et s’est insurgé contre le projet du chef de l’Etat, le président Thomas Bon Yayi: «Ce n’est pas cela l’Etat de droit. Tous les pouvoirs sont entre les mains de l’exécutif».
Le 31 décembre 1997, un décret va nommer Kafando ambassadeur représentant permanent du Burkina Faso auprès des Nations unies. Le 15 avril 1998, il présente ses lettres de créance au secrétaire général, Kofi Annan. Il retrouve ainsi une institution où il avait servi en 1981-1982, comme représentant permanent. Kafando restera de longues années à New York, jusqu’en 2011. Il aura ainsi l’occasion de présider le Conseil de sécurité et va suivre avec une attention toute particulière la résolution des crises en Afrique et dans le monde; il a été ainsi l’instigateur des grandes conférences auxquelles a participé Blaise Compaoré aux Etats-Unis sur le thème de «la médiation comme moyen de régler les conflits».
Le président de la transition se veut le représentant d’une «génération sacrifiée», «quelqu’un de la vieille école». «Vivement enfin que l’on soit plus exigeant dans le choix des hommes», s’est-il écrié dans L’Observateur Paalga, le 27 octobre 2014, à la veille de l’insurrection populaire. Il s’agissait de dénoncer la vente de la résidence du Burkina Faso à New York, «opération qui n’a pas été la bonne affaire pour l’Etat et aurait été autrement plus avantageuse si elle avait été soumise au jeu de la concurrence». L’occasion pour lui de rendre hommage au personnel de la mission burkinabè auprès des Nations unies et de fustiger «la valetaille servile de l’ambassadeur à qui je conseille en passant, pour le bon déroulement de sa carrière, d’éviter de manger de sitôt au râtelier de la compromission». Il avait ajouté alors: «Représenter le Burkina Faso à l’extérieur requiert, par-dessus tout, la rigueur morale, le courage et l’abnégation, l’honnêteté et la probité, une bonne dose de dignité et évidemment la compétence, toutes choses qui se résument en l’amour de la patrie». Une façon d’être qui pourrait caractériser également celle du président du «Pays des hommes intègres».
«J’entrevois déjà l’immensité de la tâche, a affirmé Kafando à l’annonce de sa nomination dans sa première déclaration. Je remercie tous ceux qui me font confiance pour conduire le pays suite au grand bouleversement qui marquera à jamais le Burkina Faso. Je prends l’engagement que nous ne ménagerons aucun effort. Il en va de notre crédibilité. L’essentiel à terme est de bâtir une nouvelle société, une société réellement démocratique basée sur la justice sociale, la tolérance. Ce sont les références de notre pays».
* Sur les rapports de Kafando avec la «Révolution», cf. LDD Burkina Faso 0262/Vendredi 22 juillet 2001, dépêche reprise ce lundi 17 novembre 2014 par le site lefaso.net
LeFaso.net, Jean-Pierre Béjot, 17 novembre 2014