Depuis au moins le XIXe siècle la définition ethnoreligieuse de la citoyenneté qui tend à s’imposer lors du passage d’un monde d’empires à un monde d’États-nations place la question des migrations dans son rapport au religieux au cœur de la vie politique.
En premier lieu, l’identification de l’Autre devient cruciale dans un État-nation. Elle donne notamment matière à des lois de prohibition ou de contrôle de l’immigration, voire à des processus de purification ethnique, souvent selon des critères religieux. Ce qui place les institutions religieuses dans une situation difficile. D’une part, elles peuvent être tentées de contribuer à légitimer la définition ethnoreligieuse de la citoyenneté qui leur confère un surcroît d’influence au sein de la société. De l’autre, elles peuvent désapprouver les conséquences humaines de ces politiques migratoires et de ces acceptions ethnoreligieuses de la citoyenneté qui, dans les faits, doivent plus au régime de vérité de César qu’à celui de Dieu.
En effet, en second lieu, les diverses traditions spirituelles proposent des représentations et des discours relatifs aux migrations qui sont constitutifs des logiques intrinsèques de leur foi : par exemple l’Exode dans le judaïsme, la fuite en Égypte dans le christianisme, l’hijra dans l’islam. Les prises de position antagoniques de personnalités religieuses comme le moine bouddhiste Wirathu en Birmanie ou le pape François dans le monde catholique – elles-mêmes désavouées par certains de leurs coreligionnaires – démontrent la polysémie du religieux par rapport à la circulation des hommes. Elles ont pu nourrir aussi bien des stratégies d’accueil, d’inclusion et de production d’un droit positif que des stratégies d’exclusion. Vieille affaire que l’on voit se mettre en place dès les XVIe et XVIIe siècles en Europe, après la Réforme et la guerre de Trente Ans.
Dans le contexte immédiatement contemporain les promoteurs des révolutions conservatrices qui tendent à s’imposer sur les différents continents sont enclins à lier religion et migration sous l’angle d’un conflit de civilisations, soit en termes d’« intégration », soit en termes de « grand remplacement ». Cette perspective méconnaît les pratiques effectives des migrants eux- mêmes et des acteurs religieux ou humanitaires qui les accueillent, ainsi que les subjectivités ou les imaginaires qui en résultent. Les migrants sont irréductibles aux identifications religieuses auxquelles on les assigne volontiers. Ils sont d’abord tributaires de contextes historiques et d’appartenances d’ordre sociologique.
Saisir les migrants par ce qu’ils disent et font (et ce que l’on fait ou dit d’eux) permet de s’émanciper des interprétations normatives les posant en danger ou en victimes, en faisant d’eux des objets d’anxiété ou de pitié. Cela revient aussi à démontrer que leur mobilité passe souvent par leur immobilité, sinon leur immobilisation.
La chaire Yves Oltramare Religion et politique dans le monde contemporain a pour mission d’apporter une contribution scientifique majeure à l’analyse de l’impact des rapports entre religion et politique sur l’évolution des sociétés et du système international.