En contrepoint des initiatives que l’UNIL et l’IHEID ont prises pour revisiter l’Essai sur le don de Marcel Mauss, sous la houlette de Jean-François Bert (UNIL) et de Grégoire Mallard (IHEID) – en particulier sous la forme d’un séminaire en ligne « Les trajectoires du don. Prendre au sérieux l’héritage de Marcel Mauss cent ans après » - la chaire Yves Oltramare revient sur la problématisation du religieux dans son rapport au politique que peut nous inspirer la relecture de cette œuvre majeure.
Il ne s’agit pas d’en faire une nouvelle exégèse, mais de nous demander en quoi elle est susceptible de nous aider à mieux comprendre cette question, en particulier dans le monde immédiatement contemporain qui s’en trouve profondément marqué. En soi, ce déplacement de l’anthropologie des sociétés anciennes, jadis dites « primitives » ou « archaïques », à l’analyse des sociétés actuelles ne force pas la pensée de Mauss. Ce dernier n’a jamais fait mystère de son intérêt pour son époque, et de l’apport que pouvait constituer sa réflexion sur le don à l’action politique ou sociale dans une société capitaliste de masse dont il comprenait qu’elle ne se réduisait pas au calcul rationnel des intérêts matériels, n’en déplaise à un certain marxisme ou à l’utilitarisme.
Jean-François Bert le souligne dans sa préface de la nouvelle édition de poche de l’Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (Flammarion, 2021, collect. « Champs/classiques ») : Mauss se réclamait d’une histoire comparée des religions, selon une perspective antiévolutionniste. Il saisissait l’indissociabilité de la spiritualité et de la matérialité. Il identifiait, de manière subtile, l’ambivalence des rituels de l’échange et de leur capacité à hiérarchiser les acteurs qui s’y livraient. Il reconnaissait l’importance de la modalité, de la forme, dans l’efficace de l’échange. Sans prétendre à la systématicité théorique, « tout d’indications » pour reprendre sa belle expression, son Essai sur le don est d’abord un dispositif de problématisation. Il donne à penser, et c’est bien ce que nous allons faire avec lui.
De ce point de vue, son concept de « phénomène social total » enveloppe, d’un coup de maître, la manière dont le don, comme pratique à la fois culturelle, économique, juridique et politique, ne doit donner lieu ni à surinterprétation religieuse, qui occulterait la quête d’intérêts divers de la part de ses protagonistes, ni à une forme de « matérialisme vulgaire », qui ne prendrait pas en compte ce que Max Weber nommait « les logiques intrinsèques » de la croyance. L’esthétique et l’émotion, constitutives du don comme le rappelle Mauss, illustrent chacune cette indissociabilité de la gratuité et de l’intéressement au cœur de l’échange. Le recours à ce concept de « phénomène social total », un peu tombé en désuétude après sa vogue initiale, devrait nous permettre de pénétrer la combinatoire qui s’est nouée, sous nos yeux, entre la mobilisation de répertoires d’ordre religieux et la mise en œuvre de stratégies éminemment politiques. Plus que jamais, Dieu et César sont dans un bateau. Mauss nous suggère qu’il n’est pas inévitable que l’un des deux tombe à l’eau.
Cet atelier est dédié à la mémoire de Gilbert Rist, figure puissante et généreuse de l’Université genevoise et du passé de notre institut, qui ne s’est jamais posé comme « maussien », mais qui a beaucoup lu et utilisé cet auteur dans ses travaux.
Table ronde : Yvan Droz (IHEID), François Gauthier (Université de Fribourg), Peter Geschiere (Université d’Amsterdam), Béatrice Hibou (CNRS-CERI & Université de Genève), Nina Khamsy (Université de Neuchâtel), Alessandro Monsutti (IHEID), Jean-Pierre Warnier (Université Paris Descartes)
La chaire Yves Oltramare Religion et politique dans le monde contemporain a pour mission d’apporter une contribution scientifique majeure à l’analyse de l’impact des rapports entre religion et politique sur l’évolution des sociétés et du système international.
GENEVA GRADUATE INSTITUTE
Chemin Eugène-Rigot 2A
Case postale 1672
CH - 1211 Geneva 1, Switzerland
+41 22 908 57 00
ADMISSIONS
prospective@graduateinstitute.ch
+ 41 22 908 58 98
MEDIA ENQUIRIES
sophie.fleury@graduateinstitute.ch
+41 22 908 57 54
ALUMNI
carine.leu@graduateinstitute.ch
+ 41 22 908 57 55