Abstract
Récits d’effondrement et discours catastrophistes sont aujourd’hui bien installés dans l’espace public. Ils irriguent bon nombre de débats politiques et scientifiques
sur le climat, l’économie ou la sécurité internationale. Les personnalités revendiquant le qualificatif de « prophète » (ou désignées comme tel par des tiers) multiplient les déclarations publiques à tonalité alarmiste en insistant sur l’insoutenabilité des pratiques en vigueur. Selon une définition générique, le prophète est celui qui « parle avant » (du verbe phémi combiné au préfixe pro-). La fonction annonciatrice du prophète est souvent associée à l’anticipation d’une crise ou d’un événement catastrophique qui va surprendre le monde. La grande vitalité des thèmes prophétiques exerce sur la société une fascination puissante, suscitant la curiosité, l’incompréhension ou la défiance. Certains y adhèrent en y voyant un levier politique pour faire changer les mentalités. D’autres y voient le symptôme d’une grande peur obscurantiste et font le procès aux prophètes de ravaler la science à un registre religieux.
Si la parole prophétique s’exprime dans des domaines sociaux variés, l’analyse proposée dans ce travail se restreint à la finance, un secteur d’activité générateur de fortes incertitudes, où l’interprétation de l’avenir mobilise un réseau dense de professionnels et où la prévision revêt des enjeux politiques majeurs. On prend pour étude les 18 personnalités qui proclament avoir correctement anticipé la crise financière de 2008. Ce chapitre vise à apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : Que nous disent au juste les prophètes des crises financières ? Comment mettent-ils en discours leurs angoisses concernant l’avenir ? Sur quelle démarche scientifique cette parole s’appuie-t-elle ? Comment juger de sa véracité ? Comment ces discours circulent-ils et sont reçus par les autorités ? Comment qualifier la fonction politique du prophétisme aujourd’hui? Qu’est-ce que ces discours font faire ?
About the Speaker
Pierre Pénet holds a PhD in Sociology from Northwestern University and Sciences Po Paris (2014). He is a CNRS researcher at the École Normale Supérieure Paris-Saclay (IDHES) and a former Fellow at the Paris Institute for Advanced Study (2019–20). Before joining the CNRS, he was a postdoc at the Graduate Institute Geneva and served as a Maître Assistant at the University of Geneva. His expertise straddles the boundaries of economic sociology and the history of quantification. He has worked extensively on topics of credit rating agencies, the European debt crisis, austerity programs, and the legal doctrine of odious debt. His work has been published by the British Journal of Sociology, European Journal of Sociology, Poetics, Sociologie du Travail, etc. He is the coeditor of Sovereign debt diplomacies: Rethinking Sovereign Debt from Colonial Empires to Hegemony with Juan Flores (Oxford University Press). His forthcoming book on financial prophecies will study the economists who claim to have predicted the 2008 financial crisis.