WILLIAM KENTRIDGE
1955, vit et travaille à Johannesburg
Auditorium Ivan Pictet
« Je m’intéresse à un art politique, c’est-à-dire, un art d’ambiguïté, de contradiction, de gestes incomplets et de fins incertaines – un art en mesure de contenir l’optimisme et d’échapper au nihilisme. »
William Kentridge est un artiste sud-africain engagé et internationalement reconnu. Ses sujets de prédilection sont l’histoire et son évolution, les systèmes de pouvoir et d’autorité, la mémoire et l’oubli.
Ayant trouvé leur place dans l’auditorium Ivan Pictet avec une certaine évidence, ces deux dessins monumentaux à l’encre introduisent un univers subtil à la fois organique et littéraire, qui embrasse la grande histoire des régimes autoritaires chinois, appréhendée du point de vue d’un artiste contemporain d’un autre continent.
Au premier coup d’oeil, ils s’offrent au spectateur comme de très beaux dessins à l’encre, représentant des végétaux. Mais rapidement la délectation s’accompagne du questionnement de ce croisement des genres entre dessin, texte et support, ici des pages de livres. En décomposant un ouvrage, dont il juxtapose les pages à la manière d’une mosaïque, Kentridge appose son travail sur un savoir existant de ce qui semble être une encyclopédie chinoise, c’est-à-dire un recueil de faits et de connaissances qui s’inscrit dans une temporalité précise. L’artiste y représente des motifs connus de peintures érudites du XIVe siècle de végétation et de légumes. En parallèle, y résonnent des écritures, des bribes de phrases en anglais qui oscillent entre paraboles anciennes et parodies de slogans politiques de la Révolution culturelle chinoise.
Dans LONG LONG LONG LIVE THE 4 MODERNISATIONS, l’artiste fait ainsi référence à la campagne de « modernisation » de Mao Zedong, le Grand Bond en avant, où ce dernier rassembla les Chinois dans une lutte contre « les quatre nuisibles » – moineaux, moustiques, mouches et rats – qui composaient, selon le régime maoïste, une menace pour les récoltes du pays. La campagne lancée pour éradiquer des millions de moineaux eut notamment pour résultat une invasion de criquets (dont ces oiseaux mangent habituellement les larves) qui contribua à la grande famine que connut la Chine entre 1958 et 1961. Les autres slogans, tels « HARMONISE SOUP », « GLOWING WITH HEALTH & RADIATING VIGOUR », « STRUGGLE, CRITICISE, TRANSFORM », contiennent à la fois tous les paradoxes d’un optimisme révolutionnaire, ainsi qu’une critique ironique du revers du système autoritaire maoïste et de son rêve utopique.
Comme dans un écho, GOOD VEGETABLES & EXEMPLARY DEEDS – LET US DEDUCT 5 YEARS accueille, tel un spectre semi-transparent, un volatile rescapé, tandis que dans l’angle opposé résonne le texte « EAT BITTERNESS » qui évoque amèrement l’ampleur de la famine.