OEUVRES D'ART

En parant d’oeuvres d’art la Maison de la paix, l’Institut marque son soutien à la création contemporaine, renforce l’attrait du bâtiment et donne aux personnes qui y travaillent comme aux visiteurs matière à réflexion, à inspiration et à discussion.

La sélection des oeuvres a été confiée en 2013 à un jury composé d’experts de premier plan :

  • Jacqueline Burckhardt | Rédactrice à la revue Parkett
  • Loa Haagen Pictet | Présidente du jury, conservatrice de la Collection Pictet
  • Simon Lamunière | Expert et commissaire d’expositions, Interversion
  • Françoise Ninghetto | Directrice adjointe, Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO) de Genève
  • Ignacio Dahl Rocha | Architecte, bureau Richter Dahl Rocha & Associés
  • Adam Szymczyk | Directeur, Kunsthalle Basel

Sur la base d’avant-projets proposés par dix-huit artistes internationaux, le jury a recommandé six projets. L’Institut a finalement retenu les oeuvres des artistes suivants :

  • Peter Kogler
  • Matt Mullican
  • Monika Sosnowska

Le jury a également proposé des oeuvres de Superflex ainsi que de William Kentridge qui n’ont pas été conçues spécifiquement pour leurs lieux d’accrochage. Un tableau de Franz Gertsch, donné par Pierre Mirabaud, ancien partenaire de Mirabaud & Cie, complète la collection.

PETER KOGLER

Peter Kogler, sans titre, 2013, moquette et adhésif, dimensions variables

PETER KOGLER
 

1959, vit et travaille à Vienne
Espace situé devant l’auditorium Ivan Pictet


Peter Kogler est un plasticien autrichien qui est entré sur la scène artistique internationale dans les années 1980. Son travail s’inscrit dans une démarche s’appuyant sur l’architecture, le cinéma et les nouveaux médias, mais également sur les grands courants artistiques que sont l’art minimal et le pop art. Utilisant l’ordinateur pour créer ses motifs, il réinvente l’idée de la fresque et du papier peint décoratif dans une perspective architecturale plus globale. C’est d’un profond mélange d’inspirations puisé dans le domaine figuratif et corporel que naissent ses motifs, souvent larges de sens et reconnaissables au premier coup d’oeil, tels que les fourmis, les tuyaux ou encore les cerveaux. Ici, dans le cadre du projet de la Maison de la paix, c’est le motif du nid-d’abeilles que l’artiste a choisi. Cet ensemble d’alvéoles hexagonales, ou cellules d’énergie, se tend, se déforme, s’agrandit et se recroqueville au gré des torsions infligées à sa structure – un réseau qui se prolonge à l’infini et qui plonge le spectateur dans une expérience visuelle déstabilisante entre espace réel et fictionnel. Les formes produites, tantôt concaves, tantôt convexes, offrent une vision en trois dimensions dont le tissu dense se perçoit comme une trame ondoyante aux lignes serpentines. En recouvrant sol et murs d’une même structure, l’intervention spatiale de Peter Kogler intrigue par la nouvelle identité du lieu qui déplace les frontières entre un espace réel et une architecture immatérielle. L’introduction d’une légère déstabilisation dans la perception physique d’un lieu peut rappeler à celle ou à celui qui s’y aventure combien chacun est le protagoniste dans un monde mouvant.

MATT MULLICAN

Matt Mullican, Plates Project, 2013, impressions sur porcelaine, dimensions variables

MATT MULLICAN 


1951, vit et travaille à New York et Berlin 
Cafétéria 


L’artiste d’origine californienne a développé depuis des décennies un travail conçu à partir d’un système de catégorisation de l’expérience allant de la subjectivité à l’objectivité pure. À travers ce système de signes et de couleurs codifiés, constituant un monde parallèle cohérent, une cosmologie, Matt Mullican explore les modes de représentation possibles, liés aux perceptions collectives ou individuelles de la réalité. Il associe ses cinq couleurs aux cinq notions fondamentales : le vert évoque la réalité matérielle, le rouge les valeurs subjectives et spirituelles, le jaune les manifestations conscientes des arts et des sciences, le bleu les mystères de l’inconscient, et le noir le langage. Ses pictogrammes s’inspirent de sources multiples (communication contemporaine, civilisations archaïques ou motifs personnels), et leur interprétation varie en fonction du support, du format et du contexte. L’artiste endosse tour à tour le rôle d’ethnologue, de psychanalyste, de linguiste, de philosophe, d’architecte, d’urbaniste, voire de grand prêtre d’une civilisation virtuelle proche de la nôtre. Le spectateur, quant à lui, devient explorateur, déchiffreur, interprète… 

Le projet de Matt Mullican pour la Maison de la paix propose, sur trois tailles d’assiettes, quarante pictogrammes différents et encadrés dans un ordre donné par les cinq couleurs de l’artiste. Dans une circulation quotidienne, les utilisateurs de la cafétéria peuvent découvrir les nombreuses combinaisons de significations et enrichir leur repas d’une nourriture cérébrale ou spirituelle.

MONIKA SOSNOWSKA

Monika Sosnowska, Façade, 2010, acier peint, 515 x 145 x 220 cm

MONIKA SOSNOWSKA


1972, vit et travaille à Varsovie 
Espace situé devant la réception de l’Institut


Un fragment d’une structure métallique de façade provenant d’un bâtiment moderniste polonais des années 1960 se trouve transformé en forme inédite. Une fois retravaillée par l’artiste polonaise Monika Sosnowska, cette relique d’une architecture de l’idéal du moderne classique s’est métamorphosée en objet suspendu librement dans l’espace, niant presque son poids de 750 kg, dans sa grâce à l’image d’une peau ou d’un tissu élégant quasi sensuel.

La nouvelle vie de cette structure qui parle un langage d’autrefois vient cohabiter et résonner dans l’édifice contemporain de la Maison de la paix et apporte non seulement une sensibilité spatiale inouïe, mais également un dialogue possible sur l’état de l’architecture et de la culture en général. 

Issue de la déconstruction d’un monde d’hier, Façade de Monika Sosnowska porte en elle la suggestion d’une nouvelle construction possible.

SUPERFLEX

Superflex, You Can’t Eat Identity/200 Euro, 2015, acrylique sur toile, 120 x 180 cm

SUPERFLEX


Collectif d’artistes, fondé en 1993, basé à Copenhague 
Le Restaurant de la Maison de la paix


You Can’t Eat Identity/200 Euro fait partie d’une série de sept peintures déclinant toutes le même texte, « You can’t eat identity », mais chacune dans l’une des couleurs des billets de banque en euros.

Ce texte renvoie au choix des habitants de Mayotte, située entre le canal du Mozambique et l’océan Indien, de rester attachés à la France au moment où les trois autres îles de l’archipel des Comores gagnaient leur souveraineté en 1975. En 2011, à la suite de plusieurs référendums, Mayotte acquiert le statut de département français d’outre-mer. Dès 2014, elle fait officiellement partie de l’Union européenne, dont elle devient une région ultrapériphérique et, dès lors, la cible d’un trafic illégal de migrants.

En 2014, quand Superflex fut invité par l’État français à Mayotte afin d’y développer un projet artistique pour l’hôpital local, les artistes demandèrent aux habitants pourquoi ils avaient choisi de devenir français. « You can’t eat identity » était l’une des réponses. Les habitants de Mayotte ont choisi la nationalité française et européenne car l’identité ou l’indépendance ne suffisent pas pour se nourrir.
Cette peinture, avec les six autres de la série, faisait partie de l’exposition « You Can’t Eat Identity », qui comprenait également une double projection vidéo, European Union Mayotte. L’exposition avait pour thème central la migration et le rêve d’ailleurs.

WILLIAM KENTRIDGE

Long, Long, Long Live the 4 Modernisations & Good Vegetables & Exemplary Deeds, 2014, encre de Chine, crayon rouge, impression digitale sur papier trouvé

WILLIAM KENTRIDGE


1955, vit et travaille à Johannesburg 
Auditorium Ivan Pictet


« Je m’intéresse à un art politique, c’est-à-dire, un art d’ambiguïté, de contradiction, de gestes incomplets et de fins incertaines – un art en mesure de contenir l’optimisme et d’échapper au nihilisme. »

William Kentridge est un artiste sud-africain engagé et internationalement reconnu. Ses sujets de prédilection sont l’histoire et son évolution, les systèmes de pouvoir et d’autorité, la mémoire et l’oubli.

Ayant trouvé leur place dans l’auditorium Ivan Pictet avec une certaine évidence, ces deux dessins monumentaux à l’encre introduisent un univers subtil à la fois organique et littéraire, qui embrasse la grande histoire des régimes autoritaires chinois, appréhendée du point de vue d’un artiste contemporain d’un autre continent.

Au premier coup d’oeil, ils s’offrent au spectateur comme de très beaux dessins à l’encre, représentant des végétaux. Mais rapidement la délectation s’accompagne du questionnement de ce croisement des genres entre dessin, texte et support, ici des pages de livres. En décomposant un ouvrage, dont il juxtapose les pages à la manière d’une mosaïque, Kentridge appose son travail sur un savoir existant de ce qui semble être une encyclopédie chinoise, c’est-à-dire un recueil de faits et de connaissances qui s’inscrit dans une temporalité précise. L’artiste y représente des motifs connus de peintures érudites du XIVe siècle de végétation et de légumes. En parallèle, y résonnent des écritures, des bribes de phrases en anglais qui oscillent entre paraboles anciennes et parodies de slogans politiques de la Révolution culturelle chinoise.

Dans LONG LONG LONG LIVE THE 4 MODERNISATIONS, l’artiste fait ainsi référence à la campagne de « modernisation » de Mao Zedong, le Grand Bond en avant, où ce dernier rassembla les Chinois dans une lutte contre « les quatre nuisibles » – moineaux, moustiques, mouches et rats – qui composaient, selon le régime maoïste, une menace pour les récoltes du pays. La campagne lancée pour éradiquer des millions de moineaux eut notamment pour résultat une invasion de criquets (dont ces oiseaux mangent habituellement les larves) qui contribua à la grande famine que connut la Chine entre 1958 et 1961. Les autres slogans, tels « HARMONISE SOUP », « GLOWING WITH HEALTH & RADIATING VIGOUR », « STRUGGLE, CRITICISE, TRANSFORM », contiennent à la fois tous les paradoxes d’un optimisme révolutionnaire, ainsi qu’une critique ironique du revers du système autoritaire maoïste et de son rêve utopique.

Comme dans un écho, GOOD VEGETABLES & EXEMPLARY DEEDS – LET US DEDUCT 5 YEARS accueille, tel un spectre semi-transparent, un volatile rescapé, tandis que dans l’angle opposé résonne le texte « EAT BITTERNESS » qui évoque amèrement l’ampleur de la famine.

FRANZ GERTSCH

Franz Gertsch, Rüschegg I, 1988-1989, xylogravure sur papier Kumohadamashi, 234 x 181 cm/276 x 217 cm

 FRANZ GERTSCH 


1930, vit et travaille à Berne 
Bibliothèque Kathryn et Shelby Cullom Davis 


Franz Gertsch transcende l’instant figé de la photographie, lui donne vie et l’immortalise dans un même geste, celui de la peinture. C’est en 1969, à l’âge de 39 ans, qu’il fixe le protocole de son travail : sa peinture aura pour modèle la réalité objective que lui fournit l’appareil photographique. 

La description minutieuse des détails, l’attention portée aux couleurs et aux matières ainsi que la lenteur de l’exécution rapprochent son travail de celui des peintres de la Renaissance. Le choix des sujets, l’angle de la composition et le recours à une matrice photographique situent cependant sa pratique dans une esthétique postphotographique qui inspire à la même période les artistes américains de l’hyperréalisme. 

Interprétant à sa manière les bouleversements de la société de consommation, Gertsch invente une peinture atemporelle qui capte un moment de vive intensité. Les représentations de groupes et de scènes vécues peuplent ses immenses toiles jusque dans les années 1980. 

En 1986 commence pour Franz Gertsch un nouveau chapitre : la xylogravure. Il réactualise sous un angle inédit la technique ancestrale du piquage, qui consiste à darder la plaque de bois, qu’il choisit monumentale, de minimes incisions constituant un réseau de points plus ou moins denses afin de faire apparaître le sujet par soustraction progressive de la matière. L’entreprise, qui conduit à l’impression d’immenses feuilles de papier japon spécialement confectionnées par un maître de Kyoto, revêt un caractère exceptionnel. Elle nécessite, en effet, plusieurs mois de travail sur le bois qui se prolongent par un long et méticuleux processus d’impression. Gertsch resserre ses compositions sur des éléments de la nature, puis sur des visages qui, devenus monumentaux, s’apparentent à d’imposantes icônes. Ce travail axé sur la lente contemplation du sujet demande à l’artiste une concentration prodigieuse. 

Figure de la peinture hyperréaliste internationale, Franz Gertsch construit une oeuvre qui est tout entière une réflexion sur le temps nécessaire au surgissement de l’image.