Au vingtième siècle, les architectes de la paix international n'ont pas été capables de mener une réflexion sérieuse pour mettre fin au racisme. À la fin de la Première Guerre mondiale, à la suite de la création de la Société des Nations, des tentatives par certains États membres, comme le Japon, avaient pourtant eu lieu, mais elles étaient vouées à l’échec du fait que les empires coloniaux – occidentaux et non occidentaux – étaient fondés sur la discrimination.
Ces architectes, y compris le président américain Woodrow Wilson, baignaient dans la ségrégation ; par ricochet, l’organisation internationale ne pouvait que faire de même, comme l’illustra l’invention du système des mandats. La fin de la Seconde Guerre mondiale et la création des Nations Unies ne marquèrent malheureusement pas de rupture par rapport à cette réalité. La relation entre racisme et guerre, et par conséquence la relation entre paix et fin du racisme, ne furent pas abordées, et la notion elle-même fut mise en sourdine.
Le colonialisme européen n’avait cependant pas encore dit son dernier mot, et la ségrégation raciale institutionnalisée s’est poursuivie aux États-Unis jusqu’aux années 1960 – et, sous d’autres formes plus pernicieuses, jusqu’à nos jours. La période de la décolonisation fut marquée par l’apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie et par des conflits entre populations locales dotées d’un passé et d’une identité racisée « inventés » par les colonisateurs – conflits aux conséquences meurtrières au Soudan ou au Rwanda. Quant aux flux migratoires vers les anciennes métropoles impériales, ils ont été « réglés » par des politiques discriminatoires n’affectant pas tant la paix entre nations que la paix au sein des nations.
La dimension internationale du racisme reste invisible. Ses conséquences sur la paix également.
Le racisme est ainsi devenu l’objet de conventions et autres outils onusiens souvent abstraits. Il a bien été débattu lors de la décolonisation, mais dans des démarches isolées. Certains pays s’y sont attelé, notamment les États-Unis, mais de manière sélective. En 1919, en 1945, après 1989 et au lendemain de 2001, le caractère planétaire du racisme a été largement ignoré. Le racisme continue à être présenté et étudié, y compris dans les universités, comme un problème national, voire local, qui mérite des solutions ponctuelles.
La dimension internationale du racisme reste invisible. Ses conséquences sur la paix également. La question du racisme est trop rarement présente dans les conventions sur la santé mondiale, l’environnement, la finance, le genre ou les droits humains alors qu’elle devrait en être une thématique à la fois centrale et transversale, surtout quand il s’agit d’instaurer une paix durable. Pour y pallier, un changement de paradigme est indispensable.
La trajectoire du mouvement Black Lives Matter corrobore l’idée que ce changement n’est pas survenu. En dépit de l’appropriation de ce mouvement partout dans le monde, l’internationalisation du problème du racisme n’a pas été mise à l’ordre du jour. L’attention portée par la communauté internationale à la question a été de courte durée et le mouvement semble s’essouffler. La faute en revient-elle à la conjoncture internationale – pandémie, guerre en Ukraine, changement climatique ? Quoi qu’il en soit, ce qui semble bénéficier d’une continuité historique, c’est l'invisibilisation de la dimension internationale du racisme, et en particulier de la relation entre racisme et guerre, ergo entre racisme et paix.
Cet article a été publié dans Globe #30, la Revue de l'Institut.