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15 October 2024

The Garden of the (In)visible

À l’occasion de l’exposition intitulée The Garden of the (In)visible, le professeur Alessandro Monsutti fait dialoguer sa recherche anthropologique sur les personnes migrantes et réfugiées avec les arts visuels.  

L’exposition sera inaugurée le jeudi 31 octobre à la Maison de la paix. Née d’une collaboration entre Alessandro Monsutti, professeur d’anthropologie et sociologie à l’Institut, et ses collègues des Universités de Trieste et du Littoral à Koper, Roberta Altin, Giuseppe Grimaldi et Katja Hrobat Virloget, elle raconte l’histoire de migrant∙es à travers leurs objets abandonnés en route, aux frontières de la Croatie, de la Slovénie et de l’Italie. 

Rencontre avec le professeur Alessandro Monsutti.

Quelle réflexion et processus vous ont amené à imaginer cette nouvelle exposition, qui fait suite à deux autres expositions dédiées aux personnes migrantes et réfugiées ?

Cette exposition – ou plutôt cette installation – résulte d’une initiative de mes collègues cité∙es plus haut, qui, alors que je passais le semestre d’automne 2023 en congé sabbatique à Trieste, ont eu la gentillesse de m’intégrer dans un projet commun financé par Transform4Europe, une alliance de dix universités de l’UE. Avec des étudiant∙es, mais aussi des bénévoles d’associations locales, nous avons arpenté les frontières entre la Croatie, la Slovénie et l’Italie. Nous avons récupéré les effets personnels laissés par les migrant·es qui avaient parcouru la route des Balkans et voulaient entrer à Trieste avec des vêtements propres. 

À l’instar des précédentes expositions que j’ai portées à l’Institut (Destiny/Destination et Je suis d’où je vais !), l’idée est de lancer un débat public sur une question pressante de notre temps, d’associer pensée critique et émotions. Ces initiatives représentent pour moi une manière de revisiter les thèmes de ma recherche tout en espérant toucher un public au-delà du milieu universitaire. Elles me permettent d’élargir les limites de mon travail. L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. La conjonction dans l’écrit de la réflexion anthropologique et de l’évocation poétique, en dialogue avec les arts visuels, est devenue pour moi une exigence.

 

Les objets montrés dans le cadre de cette exposition ont été ramassés sur la route balkanique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette périlleuse route ?

La route des Balkans – le pendant terrestre de la funeste route maritime de la Méditerranée centrale – est en réalité une appellation plutôt trompeuse pour des circulations entrelacées. Des personnes venant de divers pays, allant de l’Afghanistan à la Syrie, de l’Érythrée à l’Irak, sont confrontées aux contrôles aux frontières, à la détention, aux refoulements… Les récits des journalistes et des politicien·nes, mais aussi des humanitaires, s’appuient sur des images dramatiques et une cartographie recourant à des flèches qui transmettent un sentiment d’agression. Cette iconographie induit l’idée de flux de personnes indifférenciées se déplaçant du Sud global vers le Nord global. La contextualisation historique et sociologique nous amène à démystifier une telle perspective. Contrairement à ce qui se répète sans cesse, nous ne vivons pas dans une ère de mobilité humaine sans précédent. Regardons le XIXe siècle, une période au cours de laquelle les empires coloniaux ont remodelé la démographie du monde dans son ensemble en amenant dans les colonies des millions d’Européen·nes, sans oublier les esclaves africain·es et les travailleur·es asiatiques en servitude. Des continents entiers ont été dépeuplés et repeuplés dans le processus. L’histoire humaine, depuis que les humains sont des humains, a été façonnée par la migration. Le nouveau venu sur la scène est l’État-nation, dont la souveraineté est conditionnée par sa capacité à contrôler un territoire et sa population.

 

L’exposition traite du visible et de l’invisible. Comment avez-vous choisi d’illustrer l’histoire de ces objets visibles et de leurs (in)visibles propriétaires ?

La plupart des objets que nous avons collectés peuplent notre quotidien : chaussures de jogging, vestes et bonnets, pantalons, sacs à dos, sacs de couchage, bouteilles, emballages de fruits secs, chargeurs portatifs, peluches et couches… On y trouve aussi des cartes de réfugié∙es qui peuvent attester du passage dans certains pays, des médicaments comme des antidouleurs ou des crèmes pour les pieds, et même des objets sacrés comme des chapelets et des tapis de prière. Abandonnés dans les forêts où les populations locales se promènent, ils rendent visible le passage de migrant∙es qui autrement ont tendance à être invisibilisé∙es. 

Référons-nous aux travaux du philosophe italien Roberto Esposito. Il montre comment la modernité est une réponse immunitaire, par une série de mesures sécuritaires préventives, lorsque le dispositif religieux, avec sa promesse d’un salut transcendantal, s’est dissipé. L’État devient l’appareil immunitaire pour protéger la communauté. Dans ce contexte, les migrant∙es – et par conséquent leurs objets abandonnés – peuvent être vu·es comme une source de danger et de pollution, une infection pas si différente de celle provoquée par le SARS-CoV-2. Mais au-delà d’une certaine limite, le système immunitaire attaque l’organisme qu’il est censé protéger. Pour Esposito, la communauté n’est pas un « être commun » qu’il faut défendre contre celles et ceux qui ne lui appartiennent pas, mais un « être en commun » qui se nourrit lorsqu’il est exposé à ce qui est censé lui être extérieur.

 

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers cette exposition et comment a-t-elle été reçue en Slovénie et en Italie ?

L’objectif de l’installation n’est pas d’esthétiser ni de dramatiser la situation des migrant∙es. La scénographie est ironique, avec de l’herbe artificielle et des fleurs kitsch… et des objets boueux de la vie quotidienne que nous avons collectés, séchés mais non nettoyés, les transformant de déchets en artefacts à exposer.

Nous avons présenté The Garden of the (In)visible dans des contextes variés : des universités mais aussi des centres de visite et des maisons communales. Le message est dans la démarche elle-même. Notre intention est de lancer un débat public, de confronter les perspectives et les expériences vécues non seulement des personnes mobiles mais aussi des habitant∙es des frontières. Nous avons fait face à des réactions de curiosité, de solidarité, d’empathie, mais aussi parfois d’hostilité. Tout vaut mieux que l’indifférence toutefois. Ces objets ouvrent paradoxalement un dialogue entre les visiteurs et visiteuses et les migrant∙es, même si ces derniers et dernières ne sont pas présent∙es. Ils rendent visible le passage de personnes près des maisons d’autres personnes, dans une relation dialectique entre le familier et l’étrange, le rassurant et l’inquiétant, avec la perspective ultime d’aller au-delà de la déshumanisation immunitaire de femmes et hommes.

 

Exposition The Garden of the (In)visible. Maison de la paix, Pétale 1. Du 31 octobre au 29 novembre 2024.

L’inauguration de l’exposition aura lieu le 31 octobre de 18h00 à 18h30. Elle sera suivie d’une table ronde à 18h30. Les deux événements sont ouverts au public.

Pour en savoir plus.