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COVID-19
07 April 2020

COVID-19: triage des maladies ou triage des patients?

Le système de santé québécois connaît actuellement une mobilisation sans précédent en prévision de l’arrivée massive de patients atteints du COVID-19: les urgences sont sur le pied de guerre, on prépare les unités de soins intensifs, on commande des respirateurs, on ouvre de nouvelles unités au sein des hôpitaux.

Et, moins visiblement, on transfère des patients pour libérer des lits d’hospitalisation, les services et soins habituels jugés non essentiels cessent, les consultations sont déplacées dans le virtuel par le biais de la télémédecine.

Tout cela est motivé par l’évolution de la pandémie en Europe. L’Italie sombre sous l’épidémie, les hôpitaux débordent, on trie les patients que l’on peut sauver et l’armée ramasse les corps. L’Espagne en est là aussi; la France et la Suisse ne seraient pas loin derrière.

Les courbes épidémiques sont sans appel: sauf exception des pays qui ont pu soit mettre en place des mesures rapides et efficaces d’identification et d’isolation des cas (Corée du Sud, Singapour, Taïwan), soit implanter des mises en quarantaine musclées à l’échelle de la population (Chine), le nombre de cas double tous les deux à trois  jours.

Parmi eux, 20% sont suffisamment malades pour être hospitalisés, 5% sont atteints gravement et en soins intensifs, et entre 0,5 et 5% décèdent.

Ce dernier chiffre semble dépendre non seulement de l’état de santé de notre population – car la mort vient surtout chercher les plus âgés et les plus fragiles, souffrant d’autres maladies chroniques – mais, crucialement, de la capacité de notre système de soins à recevoir tous ces gens.

On sait maintenant que les plus malades souffrent de pneumonies virales sévères nécessitant une ventilation assistée – et donc un respirateur artificiel et un lit aux soins intensifs.

Depuis quelques jours on prend conscience de l’éventualité que nos hôpitaux, débordés par l’afflux de cas graves, doivent trier les malades. En France, on parle déjà des «morts acceptables» – les personnes âgées – et des «morts inacceptables» – les jeunes.

On comprend mieux maintenant l’empressement d’éviter ce scénario catastrophe en mobilisant notre système de santé tout entier.

Mais dans cet empressement on risque d’oublier ceux qui sont déjà là, malades et vulnérables, qui dépendent de notre système de santé et de services sociaux et que la crise fragilise encore plus: les patients nécessitant des suivis plus réguliers en santé physique ou mentale, les aînés en résidence privés de visite ou vivant seuls à la maison sans réseau social et privés de leur intervenant à domicile, mais aussi les personnes en situation d’itinérance ou dont les enjeux de consommation dépendant d’un réseau de refuges, de cliniques spécialisées et d’organismes déjà saturés.

Le délestage de nos hôpitaux et de nos cliniques nécessite le transfert de ces centaines de personnes vulnérables dans de nouveaux hébergements, l’annulation de tests devenus non essentiels et le remplacement de rendez-vous en face-à-face par la télémédecine, certes souvent un atout mais aussi, pour certains, une impossibilité.

Délestage ne doit pas rimer avec abandon. Dans nos préparations nécessaires pour faire face à l’épidémie, n’oublions pas ceux qui sont déjà là et rappelons-nous que l’épidémie d’Ebola a fait plus de morts d’autres maladies normalement soignées par les systèmes de santé africains que de l’Ebola seul.  

Cet article a été co-écrit avec le Dr Mathieu Isabel, médecin de famille au Centre intégré universitaire de santé et de service sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal au Québec.