Les remous créés par l’adoption par une courte majorité de la Knesset de la «loi fondamentale sur l’Etat-nation juif» ne cessent de s’accroître en Israël et ailleurs. L’opposition israélienne a appelé le parlement à se réunir en session extraordinaire mercredi afin de débattre de cette loi qui, selon elle, «porte atteinte aux valeurs d’égalité et de démocratie» dans le pays. Le débat a été pour le moins vif. La leader de l’opposition, Tzipi Livni, a mis notamment en avant les contradictions de cette loi en regard de la déclaration d’indépendance israélienne qui proclame «une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe». «Avec votre acide empoisonné, vous êtes en train de dissoudre la colle qui maintient ensemble la société israélienne», a reproché Livni au premier ministre, Benyamin Netanyahou.
Le point sur la portée de cette loi fondamentale controversée avec Marcelo Kohen, professeur de droit international au Graduate Institute de Genève.
Le Temps: La loi fondamentale du 19 juillet définit Israël comme «Etat-nation du peuple juif». Quelles conséquences y voyez-vous?
Marcelo Kohen: Cette loi fondamentale ressemble à une révision de la déclaration d’indépendance qui, il y a 70 ans, a jeté les bases sur lesquelles l’Etat s’est érigé: un Etat juif garantissant l’égalité des droits de tous ses citoyens. Aujourd’hui, ce révisionnisme montre un agenda politique partisan assez évident qui ne fera qu’aggraver la situation de l’existence d’un Etat juif et démocratique, du non-respect du droit international et du règlement pacifique et rapide du conflit israélo-palestinien.
En quel sens?
Ce qui frappe à première vue dans la loi fondamentale, c’est l’insistance sur l’utilisation du terme «nation». Cette insistance coïncide avec le développement dangereux de formes extrêmes de nationalisme dans différentes régions du monde, avec comme conséquences la xénophobie et la discrimination. L’Etat d’Israël ne reste pas étranger à ce phénomène. Certes, l’Etat d’Israël est le foyer national du peuple juif. La nuance est importante. Il a été défini comme tel dans la déclaration d’indépendance de 1948, suivant la terminologie employée dans la déclaration Balfour, inscrite textuellement dans le mandat de la Société des Nations pour la Palestine.
Cela a-t-il des implications en matière de droit international?
Je vois trois problèmes majeurs. D’abord, le troisième «principe de base» de cette loi fondamentale stipule que «le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’Etat d’Israël est propre au peuple juif». La portée de l’expression «peuple juif» employée demeure obscure. Le point 6 de la même loi fait référence à la «connexion [de l’Etat d’Israël] au peuple juif». Le point 6 se réfère ainsi au peuple juif au sens de Kelal Israël, c’est-à-dire aux juifs en tant que communauté, qu’ils vivent dans l’Etat d’Israël ou dans la diaspora. Qui sont alors les détenteurs du «droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’Etat d’Israël» du troisième principe fondamental? Les habitants juifs de l’Etat ou tous les juifs du monde? Néanmoins, le point crucial de cette disposition est l’exclusion d’une partie importante de la population israélienne de l’exercice du droit à l’autodétermination. L’Etat d’Israël est un Etat juif selon sa définition, comme l’a reconnu la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui prévoyait la création de deux Etats sur le territoire du mandat de la Palestine. Cependant, l’Etat d’Israël est composé d’une majorité juive et de minorités arabe, druze et bédouine. Dans les Etats indépendants existants, c’est toute la population de l’Etat qui a le droit de disposer d’elle-même. Il appartient à tout le peuple israélien, avec cette composition, de bénéficier du droit d’autodétermination.
Et les deux autres problèmes?
La deuxième «difficulté» juridique internationale de la loi fondamentale est bien connue: la communauté internationale, en particulier par le biais de la résolution 478 (1980) du Conseil de sécurité des Nations unies, n’accepte pas que «Jérusalem complète et unie» soit la capitale de l’Etat d’Israël (point 3 de la loi fondamentale). En tant que telle, cette disposition constitue un obstacle supplémentaire au règlement pacifique du conflit israélo-palestinien.
Enfin, la troisième disposition qui soulève une préoccupation juridique internationale est le point 7 («implantation juive»): «L’Etat considère le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir sa création et sa consolidation.» L’ambiguïté, dans le contexte de la pratique actuelle du gouvernement Netanyahou, ouvre la voie à considérer que cette référence aux «implantations» inclut les colonies dans le territoire palestinien occupé, qui sont elles aussi considérées comme illégales par la communauté internationale tout entière.