news
Anthropology and Sociology
04 May 2018

La France tournera-t-elle le dos à l’Europe?

Article du professeur Mallard pour Le Temps.

OPINION. Les discussions d’Emmanuel Macron avec Donald Trump sur un nouvel accord avec l’Iran ignorent les engagements européens et de l’ONU. Une étrange façon de concevoir le rôle de la France au sein de l’UE, souligne Grégoire Mallard, professeur adjoint au Graduate Institute de Genève.

Par-delà les images d’amitié franco-américaine qu’a offertes aux publics français et américain la visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis, il se joue avec la possible «sortie» américaine de l’accord nucléaire avec l’Iran, et la main tendue par le président français, une renégociation du rôle diplomatique que la France entend laisser jour à l’Europe.

Emmanuel Macron a basé sa campagne présidentielle sur un appel résolu en faveur de l’unité européenne, dans tous les domaines, y compris la défense et la diplomatie. Si la rhétorique du président Macron est jusqu’alors restée alignée sur les positions proeuropéennes du candidat, son récent discours de Washington change la donne. En proposant de renégocier certains points du dossier nucléaire iranien, la France a fait un pas hors du cadre onusien et européen posé par l’accord avec l’Iran. C’est une faute politique, qu’il appartient au président français de corriger au plus vite s’il ne veut pas que son discours de Washington marque le moment où la France aura tourné le dos à ses partenaires européens.

Plus qu’un simple accord

L’accord avec l’Iran n’est pas un simple «accord» intergouvernemental entre sept Etats – l’Iran, l’Allemagne et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU – que chacun d’entre eux pourrait rediscuter à chaque changement de majorité. Cet accord engage aussi l’Union européenne (UE), à savoir 28 pays, dont aucun n’a mandaté la France pour se présenter en médiateur entre les Etats-Unis et l’Iran.

Il reviendra à la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, d’organiser une discussion sur la réaction que l’UE devra avoir face à une éventuelle sortie de l’accord par les Etats-Unis. Il reviendra aussi au Conseil de sécurité de statuer sur la signification de cette décision américaine, car l’accord avec l’Iran a fait l’objet d’une résolution (2231) du Conseil de sécurité, qui a engagé l’ensemble de la communauté internationale derrière ce texte.

Ce n’est pas au président français de décider unilatéralement de mettre à l’écart le Conseil de sécurité de l’ONU, encore moins l’UE, si les Etats-Unis venaient à se retirer de l’accord. Agir ainsi serait une entorse majeure au fonctionnement de la diplomatie européenne, qui a trouvé sa plus belle réalisation dans l’accord avec l’Iran. Or, en déclarant à Washington que la France doit ouvrir un nouveau chapitre portant sur les activités nucléaires de long terme en Iran, Emmanuel Macron fait un pas hors de l’accord.

En effet, ce dernier prévoit déjà la coopération nucléaire de long terme avec l’Iran dans son Annexe III. Par exemple, la reconfiguration du réacteur d’Arak passe par une coopération soutenue avec la Chine et les Etats-Unis, qui va s’étendre sur des décennies, tout comme les activités d’inspection de l’AIEA, qui continueront sans limites dans le cadre du protocole additionnel. C’est donc bien un accord qui englobe le court terme et le long terme que les 28 pays de l’UE ont soutenu en juillet 2015. Qu’Emmanuel Macron prétende revenir sur ces points sans consulter ses partenaires européens laisse pantois.

Un signal clair à l’Europe

Si l’annonce du président français fragilise la diplomatie européenne, elle n’apporte pas pour autant une réponse réaliste aux défis d’un éventuel retrait américain. La France n’est pas la Suisse, et elle ne sera pas en mesure de servir d’intermédiaire dans une nouvelle négociation entre les Etats-Unis et l’Iran, élargie à d’autres sujets, comme la Syrie.

Ce n’est pas la France, mais l’UE qui a gagné la confiance de l’Iran en poursuivant l’accord nucléaire avec ce dernier et en rapprochant les positions dures de la France et des Etats-Unis de celles de pays plus conciliants, comme la Chine ou la Russie. En prétendant le contraire, Emmanuel Macron prend ses rêves pour des réalités. De plus, le dialogue sur la sécurité régionale avec l’Iran existe déjà dans le cadre du «Dialogue politique» de l’UE et il est paradoxal que ce soit le président français le plus proeuropéen qui veuille voler ce rôle à l’Europe unie.

Piqûre de rappel

Il y a des limites à ce que la communauté internationale peut accepter de la part d’un président français en matière diplomatique. Sa fougue et sa volonté de se placer au centre du jeu médiatique peuvent être des atouts, mais lorsque cette théâtralité fait sortir la France du cadre européen et déchirer des textes qu’il a fallu négocier pendant quinze ans, il devient urgent de lui rappeler ses engagements proeuropéens.

Il en va de la légitimité et de l’efficacité des voix de la France et de l’Europe dans le monde, à un moment critique où la France doit prouver à ses partenaires qu’après le «Brexit» elle ne redeviendra pas le cavalier solitaire qu’elle a longtemps été, bombardant puis négociant ici et là sans consulter ses partenaires européens, et leur demandant d’accorder après coup un vote de confiance sur ses actions souvent inefficaces et parfois illégitimes. Il est urgent que la France envoie le signal clair que l’Europe reviendra au centre du jeu diplomatique après le 12 mai prochain.

 

******Cet article a été publié dans Le Temps. Image: © Evan Vucci/AP Photo