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11 December 2019

Villes sous tension ?

Hong Kong, Santiago, Bagdad, Beyrouth, Téhéran, Paris… Les villes semblent s’embraser partout, mais la question qui se pose est : sommes-nous entrés dans une nouvelle ère de révoltes et de rébellions, ou bien faisons-nous tout simplement face à une conséquence naturelle de l’urbanisation du monde ? L’urbanisation implique bien plus qu’une simple transformation démographique. De plus en plus, nous vivons dans un monde caractérisé par une condition d’« urbanisme planétaire », c’est-à-dire que nos principales formes d’organisation sociale sont maintenant fondamentalement urbaines.

À cet égard, il existe de longue date une association généralisée entre villes, violence et insécurité. Cette corrélation se base sur la notion selon laquelle les contextes urbains sont des espaces densément peuplés et hétérogènes, et de ce fait intrinsèquement désordonnés, et donc sujets à des comportements transgressifs. Une telle vision peut être taxée de « fétichisme spatial ». L’expérience urbaine n’est pas monolithique, et il en va de même des formes de violence urbaine et de leurs conséquences. 

Prenons l’une des formes de violence urbaine sans doute la plus dévastatrice qu’il soit : la guerre urbaine. Celle-ci peut souvent prendre la forme extrême d’un « urbicide », c’est-à-dire d’une véritable destruction du tissu urbain, tant infrastructurel que démographique. Mais les actes de guerre urbaine ne sont pas tous nécessairement dévastateurs. Par exemple, les bombardements qui dévastèrent Londres pendant la Deuxième Guerre mondiale ouvrirent à travers la ville des espaces physiques où le gouvernement travailliste, arrivé au pouvoir en 1945, promulgua la construction de logements sociaux. Ceci transforma Londres, qui d’une des villes les plus inégales d’Europe, marquée par une ségrégation profonde entre une partie Est uniformément pauvre et une partie Ouest très riche, devint une ville plus équilibrée et ouverte, facilitant le célèbre essor des Swinging Sixties.

Cette même ambiguïté vaut aussi pour une autre forme paradigmatique de violence urbaine, la criminalité urbaine. Le New York des années 1970 ou Medellín en Colombie dans les années 1980 souffrirent de fortes vagues de criminalité urbaine, mais ces périodes d’insécurité et de violence donnèrent directement lieu aux fameuses renaissances urbaines des deux villes, respectivement dans les années 1980 et 2000 après la mise en place de politiques contre la criminalité.

Nous pouvons concevoir la violence urbaine comme génératrice d’innovation et de dynamisme, mais le phénomène est rarement considéré ainsi. Ceci découle en partie du fait que les formes de violence urbaine telles que la guerre ou la criminalité sont généralement conçues comme des évènements temporellement bien définis, alors que si nous voulons réellement comprendre leurs dynamiques sous-jacentes, nous devons concevoir la violence urbaine de manière plus systémique. Ainsi, plutôt que de voir dans les villes des foyers naturels d’insécurité et de désordre, nous devons les considérer comme des champs de batailles à cartographier socialement, économiquement et politiquement afin de tracer ce que nous pouvons dénommer une véritable « géopolitique de l’urbain ». Une telle approche nous permettra de prendre conscience que les villes sont en fait des épiphénomènes et que la vague actuelle de violence urbaine qui secoue le monde est en fait le reflet d’une crise sociétale plus large. 

Keywords: Dennis Rodgers, anthropologie et sociologie