Comme beaucoup de gens j'ai toujours été fasciné par la découverte de l'autre, par le voyage, par la richesse de tout ce qui est l'humain dans sa diversité culturelle.
Cela remonte à mes 18 ans – j'étais SDF, et on m'a proposé de partir au Mali dans le cadre d'un programme (Jeunesse Canada Monde) l'équivalent des Peace Corps aux États-Unis ou de volontaires civils en France. Quatre mois passés dans un village au Mali à creuser des latrines et construire une école ont été une initiation aux questions humanitaires, politiques et culturelles qui sont au coeur de la santé mondiale aujourd'hui. J'y ai connu la pauvreté, l'inégalité, et l'injustice certes, mais aussi la solidarité, le partage, le rire. J'avais en réalité trouvé un foyer.
La lutte conte le VIH
Revenu d'Afrique, j'ai enchaîné les petits boulots qui m'ont permis d'entreprendre des études universitaires. J'ai étudié la biologie, et la philosophie politique; j'ai milité pour le désarmement nucléaire et contre l'apartheid. La survenue de l'épidémie du Sida m'a interpellé sur le plan personnel, mais aussi politique et a fourni une motivation pour poursuivre des études en médecine. Beaucoup plus tard, devenu médecin spécialiste du VIH, au début des années 90, j'ai été frappé par la discordance de l'épidémie en Afrique et l'attention qu'on y portait. Je m'étais impliqué dans une association de lutte contre le VIH en Afrique, par le biais d'un ami qui lui-même a succombé à la maladie peu de temps après.
L’effet des nouvelles trithérapies, arrivées dès 1994, a marqué un changement sans commune mesure: dans mon service, on est passé de deux décès par semaine en moyenne à, en 1995, deux décès dans toute l'année. Mais rien sur le continent africain. Ce fut le début d'un long parcours, celui de la lutte pour l'accès aux traitements pour le VIH – une lutte qui a été fondatrice pour la Santé mondiale, et qui a entériné l'engagement des communautés comme pilier de toute lutte contre les épidémies.
Le tournant Ebola
L’épidémie d'Ebola de 2014 - qui a fait plus de 11 000 morts - a cependant créé un nouveau « wake up call » pour moi, une confrontation à beaucoup de choses.
Ainsi je croyais que l'épidémie du VIH avait fait émerger une nouvelle vision de la santé publique et de la santé mondiale. On y avait ainsi appris qu'on ne pouvait pas lutter contre une épidémie sans l'adhésion des personnes concernées et sans dispositif d'engagement communautaire, de dialogue et d'inclusion, et de promotion des gens concernés dans la réponse elle-même.
Mais Ebola a marqué un tournant, notamment en République démocratique du Congo.
Le retour d'une vision répressive
J’ai assisté au retour d'une vision de la santé publique coercitive, répressive avec des discours d'exclusion et de la violence.
Est-ce que cela est lié aux tournants politiques que nous vivons depuis 2016 avec le regain du populisme et de styles autoritaires de gouvernement ?
Quoiqu'il en soit, j'en ressens d'autant plus le besoin en tant qu'anthropologue de la santé de m'engager auprès des personnes concernées et comme mes collègues, de lutter contre ces dérives autoritaires.
Car je suis médecin avant d'être anthropologue. Et je suis anthropologue parce que je suis médecin.
Chercher à comprendre ses patients
Et vouloir être un bon médecin est un médecin qui cherche à comprendre ses patients, par juste celui qu'on a en face de nous au moment de le consulter, mais le patient dans son vécu, dans sa communauté, dans sa vie qui finalement et heureusement est beaucoup plus important pour lui.
Continuer d'exercer la médecine pour moi évite de rester dans une bulle académique, ce qu'on voit parfois avec certains scientifiques qui sont détachés de la réalité quotidienne des gens. Il faut savoir sortir de la clinique et rencontrer ses patients et leurs familles pour voir, constater, apprendre.
S'engager dans cette démarche en tant que chercheur est avant tout, pour moi, une question d'ethos personnelle.
Cet article a été publié dans The Conversation le 19 août 2019.
Photo: John Wessels, Médecins Sans Frontières.