Vous êtes professeure d’anthropologie et sociologie à l’Institut et présidente de l’association « Les Indépendantes ». Comment ce projet d’association est-il né et pourquoi un tel engagement de votre part ?
L’association a été fondée en 2019, d’abord sous le nom « Programme indépendant de recherche » et avec pour objectif de développer des projets originaux de médiation scientifique. Notre motivation profonde était de faire sortir le savoir des universités, de le remettre au cœur de la cité et du débat public en trouvant des formes de communication plus ludiques que celles qui prédominent dans les institutions académiques. Au printemps 2021, l’association a été renommée « Les Indépendantes » (lesindependantes.ch) afin de mieux mettre en évidence un objectif qui nous tenait particulièrement à cœur, à savoir la mise en valeur des talents, des compétences, du savoir des femmes et des personnes invisibilisées, en favorisant les synergies entre les arts et les sciences. Les Indépendantes regroupe au sein de son comité des femmes universitaires, des comédiennes, des cinéastes, des spécialistes en communication et médiation scientifique, qui s’intéressent aux questions de société et notamment aux problèmes de discrimination et d’inégalités.
Quels types de projets menez-vous dans le cadre de l’association ?
Les Indépendantes héberge la plateforme de publication en ligne Allegra Lab (allegralaboratory.net), un média qui valorise les réflexions des anthropologues sur les questions de société en utilisant des formats nouveaux (podcasts, vidéos, webinaires) et que j’ai fondé en 2013. Mais le premier véritable projet de l’association a été réalisé en février 2020 en partenariat avec la Fonderie Kugler. Il s’agissait d’une « conférence boxée » réunissant sur un ring (réalisé spécialement pour cet évènement par l’artiste Thomas Schunke) le champion de boxe helvète Yoan Kongolo et le sociologue français spécialiste des sports de combat Akim Oualhaci. Tandis que Oualhaci parlait de son enquête au sein des clubs de boxe des quartiers populaires de New York et Paris, Kongolo initiait le public à la boxe. L’un et l’autre prenaient place à tour de rôle au centre du ring le temps d’un « round », permettant ainsi au public de suivre à la fois une conférence de sociologie pointue et le cours de kick-boxing d’un vrai champion. Cette expérimentation de médiation culturelle visait à tester les possibilités de rencontres entre différentes populations et univers sociaux, à diffuser la recherche en dehors de l’académie, et à redonner sa fonction citoyenne à la science, par le truchement de l’émotion, de la participation et du plaisir.
Pouvez-vous nous parler du projet Réparation ? En quoi consiste-il et à qui s’adresse-t-il ?
Pour la deuxième année consécutive, Les Indépendantes mène le projet Réparation avec deux classes de deux établissements du secondaire, à savoir l’École de culture générale Aimée-Stitelmann et le Centre de formation pré-professionnelle. Réparation est un parcours d’éveil à la conscience politique et à la liberté d’expression qui puise son inspiration dans les outils et les pratiques de la justice transitionnelle postconflit. Le projet, mené dans le contexte de la pandémie de COVID-19, vise à offrir une opportunité de réparation en ouvrant un espace d’expression politique à celles et ceux qui sont invisibilisé·e·s et exclu·e·s du débat public, à savoir les jeunes. Il amène des élèves, en particulier ceux et celles en situation de décrochage scolaire, à trouver leur propre voix à travers des ateliers de prise de parole utilisant à la fois le théâtre et la vidéo, ainsi qu’une performance scénique et une plateforme numérique. En se basant sur l’hypothèse selon laquelle la parole a un pouvoir transformateur et permet de panser les blessures individuelles et collectives, le projet aide les participant·e·s à s’exprimer sur leurs propres problématiques et sur leurs aspirations pour le monde de demain. La performance finale qui a lieu en fin de parcours est diffusée en direct sur Internet afin d’élargir au maximum l’audience.
Comment voyez-vous le monde après la pandémie, notamment pour les jeunes et pour les femmes ?
La pandémie a accru les inégalités sociales et a donc renforcé la marginalisation des plus vulnérables. Le dernier rapport d’Oxfam sur l’état des inégalités dans le monde souligne que les femmes, les minorités ethniques et les pays en développement ont été les plus impactés par la pandémie. Parallèlement, 252 hommes possèdent plus de richesses que le milliard de femmes et de filles d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes réunies. Ces clivages ne sont pas près de se résorber et vont continuer de s’accroitre. Il est donc impératif de les rendre visibles, de sensibiliser le public à ces enjeux et de donner la voix à ceux et celles à qui on ne donne pas la place dans les débats de société.