Nous avons déjà connu la démondialisation. Il est tentant de remonter à la chute de l’Empire romain, que certains historiens relient à un changement climatique et à une série d’épidémies dévastatrices, mais l’exemple le plus proche est celui des années 1930. La combinaison d’une montée des nationalismes et de la crise financière de 1929 a conduit à la restauration de barrières douanières et à l’éclatement de l’économie mondialisée qui avait été instaurée après la Première Guerre mondiale.
Les effets avaient été spectaculaires, comme le montre l’exemple de la Suisse. Entre 1918 et 1929, le revenu par tête a crû en moyenne de 4%, il a stagné entre 1933 (après la reprise de la crise financière) et 1939, alors que les exportations chutaient de moitié.
La démondialisation, c’est ça.
Depuis longtemps, les partisans de la démondialisation déplorent les inégalités. Ils n’ont pas tort. Depuis trois décennies, dans la plupart des pays développés, les classes moyennes ont vu leur niveau de vie stagner alors que les classes supérieures se sont enrichies, d’autant plus qu’elles étaient riches.
Cependant, si elles ont fortement augmenté aux Etats-Unis, les inégalités ne se sont pas accrues en Europe du Nord. Si le niveau de vie mondial a fortement augmenté, certains pays ont connu des gains gigantesques, surtout en Asie, alors que d’autres ont peu, ou pas, progressé, notamment en Afrique.
De plus, là où la croissance a été forte, les inégalités se sont profondément aggravées. Quelques conclusions peuvent être tirées. D’abord, la mondialisation a sorti de la pauvreté aiguë des milliards de personnes. Pour la majorité de l’humanité, la mondialisation a été une bonne chose.
Ensuite, les bienfaits de la mondialisation n’ont pas été distribués de manière équitable. La mondialisation crée des opportunités, mais ceux qui peuvent ou savent s’en saisir en profitent parfois énormément, alors que les autres sont laissés pour compte. Enfin, le fait que les effets soient si différents montre que ce n’est pas nécessairement la mondialisation qui est en cause.
En effet, les pays qui ne profitent pas de la mondialisation sont en général caractérisés par une mauvaise gouvernance, souvent par un haut niveau de corruption, parfois même en guerre.
Parmi les pays développés, ceux qui ont évité la montée des inégalités ont mis en place des mécanismes de redistribution tels que la fiscalité et les aides sociales et ont misé sur l’éducation pour maintenir en place l’ascenseur social. C’est ce qui a manqué ailleurs, par exemple dans les pays anglo-saxons, mais c’est leur choix. Après tout, ce sont les électeurs blancs aux revenus modestes qui ont élu Trump en 2016, et il s’est empressé de réduire les impôts des plus riches. Tout indique qu’ils vont encore voter pour lui cette année.
La mondialisation ouvre des perspectives d’amélioration du niveau de vie. La manière dont ces bénéfices sont distribués est la responsabilité de chaque pays, riche ou pauvre. Blâmer la mondialisation n’est pas seulement facile, c’est erroné.
Si la démondialisation se produit, elle va d’abord appauvrir les pauvres dans les pays les plus pauvres. Rien n’indique qu’elle réduira les inégalités où que ce soit. L’objectif mille fois répété dans les pays développés est de relocaliser les activités de production. Or, si tant d’entreprises ont délocalisé leurs activités, c’est que les salaires sont beaucoup plus bas ailleurs.
Relocaliser signifie que les coûts de production, et donc les prix, augmenteront. Le résultat sera une baisse du pouvoir d’achat, qui heurtera surtout les personnes à faibles revenus. Dans les pays en développement, les fermetures d’usines feront revenir la pauvreté, ce qui réduira les exportations des pays développés.
Cet article a été publié dans Le Temps le 11 juin 2020.