news
Venezuela
02 May 2019

L’avenir du Venezuela se joue au sein de l’armée

La grande muette tient le régime Maduro à bout de bras. "Jusqu'à quand?" demande le professeur Marc Hufty.

«Illégitime, impopulaire, isolé, corrompu, la question n’est plus de savoir si le gouvernement Maduro va tomber, mais quand.» Pour Marc Hufty, professeur à l’IHEID, cela ne fait pas l’ombre d’un doute: la situation au Venezuela devient intenable pour le successeur de feu Hugo Chavez. Hyperinflation, effondrement économique, pénuries à gogo, virage autoritaire, émigration de masse… Rien ne va plus depuis que les prix du brut ont chuté, vidant les caisses publiques qui dépendaient à 95% de la manne pétrolière. Cela dit, le destin du pays, c’est l’armée qui le décidera. Une véritable partie d’échecs se joue en son sein. 

En février, vous prédisiez la chute de Maduro. Il s’accroche plutôt bien au pouvoir, non? 

Effectivement. La raison en est simple: la hiérarchie militaire reste pour l’instant acquise au régime. Bien des hauts grades doivent leur carrière à Nicolas Maduro. Mais surtout, l’armée participe aux grandes transactions commerciales légales (pétrole) et illégales (cocaïne). Les généraux ont donc beaucoup à perdre. En plus, il règne un climat de terreur à la tête de la grande muette. Ceux qui paraissent susceptibles de faire défection ont tendance à disparaître, enlevés à l’aube à leur domicile. On voit là les méthodes des services secrets cubains. La même atmosphère règne au sein de la police, de la garde rapprochée de Maduro, des milices de motards et des différents corps de l’armée. Enfin, les militaires sont généralement des patriotes, ils se voient en gardiens de la nation et ne veulent pas voir l’armée se désintégrer… 

Pourtant, de plus en plus de militaires passent à l’opposition et s’affichent même aux côtés de Juan Guaido. Qu’est-ce qui les a décidés? 

D’abord, il faut distinguer la hiérarchie militaire et les subalternes. Ces derniers sont proches de la population, ils voient souffrir leur famille et leurs amis, face aux pénuries de nourriture, de médicaments ou encore d’essence. Les soldats ont accès à des produits qui font cruellement défaut aux autres. Le régime n’est pas aussi pauvre qu’on le dit, il peut compter sur la manne pétrolière mais aussi sur des ventes massives d’or. Bref, la base de l’armée est en première ligne et pourrait aisément se ranger du côté de la rue. On pourrait même imaginer, pourquoi pas, un soulèvement des officiers subalternes… comme celui auquel avait jadis participé Hugo Chavez. Du coup, les haut gradés commencent à se demander ce qu’il adviendra d’eux quand tombera le régime. C’est maintenant qu’ils peuvent négocier une sortie honorable! 

Y a-t-il donc des négociations secrètes avec l’état-major? 

Je ne le sais pas, mais j’imagine que oui. Juan Guaido a déjà offert l’amnistie aux militaires qui lâcheront le régime de Nicolás Maduro. Il pourrait par exemple y avoir un accord pour que les haut gradés se retirent de l’armée et qu’ils se voient confier des postes civils leur permettant de préserver leurs privilèges. En ce moment, ils doivent tous être en train de faire un calcul de risque. Derrière la façade, ils savent bien que beaucoup se taisent mais n’en pensent pas moins. Et même parmi les chavistes, il y a des déçus du régime Maduro. Juan Guaido joue à merveille sur ces lignes de fractures! 

Comment s’y prend-il? 

L’appel à manifester ce 1er mai est un exemple parfait. Juan Guaido l’a lancé depuis une caserne, entouré de militaires. Des soldats ou des membres de la Garde nationale se montrent à visage découvert. Le message, limpide, c’est qu’il n’y a plus vraiment de raison d’avoir peur de passer à l’opposition, car les jeux sont faits et la chute du régime est inévitable voire imminente. C’est un discours destiné à convaincre les simples soldats et les officiers subalternes qu’il est temps de choisir son camp. 

Les États-Unis risquent-ils d’intervenir? Et qu’en est-il de Cuba, la Chine et la Russie?

L’administration Trump laisse dire qu’elle pourrait envoyer ses troupes. C’est du bluff. Ce serait un désastre. Par ailleurs, il y a un jeu d’interdépendance: pour des raisons techniques, Washington a besoin du brut vénézuélien, tout comme Caracas a besoin de l’essence raffinée aux États-Unis. L’île de Cuba, elle, est en crise économique. La Chine s’est mise à limiter ses investissements. Quant à la Russie, son soutien au régime est réel mais il passe après d’autres priorités géopolitiques. Non, vraiment, l’avenir du Venezuela, c’est au sein de son armée qu’il se joue.

Cet entretien réalisé par Andres Allemand a été publié le jeudi 2 mai dans la Tribune de Genève.