« Rodrigue, as-tu du cœur ? »
C’est en fait de courage qu’il s’agit dans ces mots qu’un père, Don Diègue, adresse à son fils, Don Rodrigue, dit le Cid. Cette métonymie célèbre de Corneille est construite sur une étymologie commune aux deux termes, le latin cor.
Notre monde est en apnée. Face à l’incertitude radicale qui s’impose, nous retenons notre souffle. L’esprit du temps est aux tensions paradoxales – richesses et inégalités ; connaissances et désinformation ; connectivité et solitude structurelle. L’humanité est comme un colosse aux pieds d’argile ; en abîmant, voire en détruisant notre biotope, nous produisons nous-mêmes notre inexorable fragilité et cette angoisse existentielle qui est le parfum de l’époque.
Que faire ? Ces derniers temps, semble-t-il, la plongée en apnée est devenue un sport à la mode, sinon un mode de vie. Comme un retour aux fondamentaux – ne plus respirer pour réapprendre à respirer, regarder non pas tant autour de soi qu’à l’intérieur de soi. Mais l’apnée n’a de sens que si on la contrôle, si on ne cède pas à la tentation de se laisser couler, de se laisser engloutir.
Cette apnée collective sera alors salvatrice si nous savons l’utiliser pour nous questionner en profondeur et mobiliser notre courage pour remonter plus serein·e·s et plus fort·e·s, prêt·e·s à affronter le monde du temps non suspendu. Après tout, c’est bien aussi dans les périodes exceptionnelles que tout devient possible ! Et le courage est donc la clé…
Courage n’est pas témérité. L’acte fougueux d’un jeune Icare s’envolant vers sa chute inéluctable relève plus de la démesure et de l’hubris que du courage. Tel que Platon ou Aristote le définissent, le courage est une « fermeté réfléchie ». Avoir du courage, ce n’est pas ignorer le risque, le danger ou la peur mais savoir vivre et agir malgré tout, en les maîtrisant de manière réfléchie. Le courage est, par nature même, une affaire de cœur – c’est en assumant nos émotions et nos vulnérabilités humaines que nous l’affirmons. Mais le courage est aussi une passion.
Pour Platon comme pour Confucius, le vrai courage ne peut être qu’au service de l’intégrité, de la justice et du bien commun. Le courage est tourné vers l’autre plus que vers l’ego ; il est une vertu éminemment sociale et profondément humaine et humaniste. Le courage peut être aussi simple que d’exprimer sa fragilité et sa gratitude, et donc son humanité. Les larmes de Roger Federer n’entachent en rien sa force, son leadership, sa capacité à agir et à influencer, sa légitimité… bien au contraire, sans doute !
Nous pouvons et nous devons augmenter nos réserves collectives de courage. Pour les philosophes, et c’est la bonne nouvelle, le courage est une vertu qui se travaille, s’acquiert, se déploie, s’approfondit. C’est en posant de manière régulière et répétée des actes de courage que nous devenons courageuses et courageux. Voici donc un défi à la hauteur des enjeux du jour – un défi qui se doit, qui plus est, d’informer l’ambition pédagogique de notre maison commune, l’Institut !
Cet article a été publié dans Globe #30, la Revue de l'Institut.
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