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Family Stories
04 March 2019

De père en fils

Le parcours de Yachar Nafissi-Azar (MIA ’05) vers la diplomatie suisse

Né en 1957 en Iran, Reza Nafissi rejoint Genève en 1977 pour y entamer ses études universitaires en relations internationales à l’Institut. La Révolution iranienne y met un terme en 1979. Son fils ainé, Yachar, reprendra le flambeau. En 2005, il y obtient l’équivalent d’un master en affaires internationales. Il est désormais diplomate en poste au bureau de représentation suisse à Ramallah. Le Temps a consacré un bel article au chemin parcouru par cette famille, dont voici quelques extraits.

(…) «Mon nom est Yachar Nafissi et, comme mon nom l’indique, je suis originaire de Lausanne» : ce mot a déridé le jury devant lequel le jeune homme passait son grand oral, pour être accepté au concours diplomatique du DFAE. C’est parce qu’il est infiniment reconnaissant à la Suisse de les avoir accueillis et de leur avoir donné les mêmes chances qu’à ses citoyens que Reza [le père] a bien voulu partager son histoire.

Tout a commencé en 1977, à Téhéran, dans une famille de la classe moyenne supérieure. «Je rêvais de science politique. J’avais 20 ans, un visa et un billet pour les États-Unis. Mais 15 jours avant de partir, je reçois une proposition de bourse. L’État iranien prenait en charge tous mes frais pour que je vienne me former à [l’Institut], pour ensuite entrer au Ministère des affaires étrangères. Je suis donc venu à Genève.» Pendant deux ans, Reza Nafissi va se régaler, avec ses cinq camarades de volée iraniens comme lui. « Nous avions des cours avec les meilleurs professeurs, des voyages d’études. Quand j’y repense, c’était un rêve.» Toujours à Genève, il rencontre sa future épouse Afi, étudiante en architecture intérieure arrivée de Téhéran (…).

Quand, en 1979, tout s’arrête brutalement.

Une vie à reconstruire

Car, en 1979, l’Iran est à feu et à sang. En janvier, le shah quitte le pays, chassé par des manifestations monstres et abandonné de ses ex-alliés occidentaux. Le 1er février, l’ayatollah Khomeiny revient, après quinze ans d’exil. Dix jours plus tard, la République islamique est proclamée, et peu après, l’épuration commence. C’est en juillet de cette année pleine de bruit et de fureur que Reza et Afi retournent se marier en Iran. Mais le programme à [l’Institut] est supprimé. Et les tout jeunes mariés – ils ont 22 ans – retournent en Suisse avec toute leur vie à reconstruire. (…)

De retour à Genève, il doit changer de vie. Grâce à une amie, il parvient à s’inscrire en catastrophe à l’Université de Lausanne, encore en sciences politiques, et obtient le statut d’étudiant qui lui permet de rester en Suisse, tandis qu’Afi s’occupe de leur foyer et de Yachar, né en 1980. Sa famille l’aide financièrement mais il doit multiplier les petits boulots – livreur de pain pour des tournées de quatre heures dans les environs de Morges, portier de nuit dans un hôtel genevois : «Trois fois par semaine, je travaillais de 19h à 7h puis je sautais dans un train pour aller à Lausanne.» Où les cours en français le désarçonnent : à [l’Institut] tout était en anglais, pour sa volée très spéciale… Il s’accroche, travaille avec un Larousse, et remercie encore aujourd’hui ses professeurs qui ont été si patients avec lui. Son diplôme en poche, il enchaîne avec un certificat d’études supérieures de gestion commerciale. Mais doit quitter le territoire, une fois ses études terminées. «La guerre avait commencé avec l’Irak, je savais qu’en Iran je devrais partir au front. Que pouvais-je faire?»

La providence prendra le visage d’un membre du Centre social protestant, qui va l’aider. D’abord, il lui conseille de demander l’asile: «Impossible. J’aime mon pays, et je veux pouvoir y retourner.» «Alors faites une demande de permis humanitaire directement à Berne.» Reza écrit une lettre, explique qu’il a fait sa vie en Suisse. «Une semaine après, je l’avais. J’ai sauté de joie!» Les talents de conviction de Reza et sa force de travail font ensuite le reste. Il vend des assurances dans la région de Morges, rencontre à Genève un peu par hasard un responsable de compagnie aérienne que son excellent anglais séduit. Il est embauché. Trois mois plus tard, il a sa propre équipe. (…)

Double identité

La famille a parfois souffert de la méconnaissance de l’Iran et de sa mauvaise réputation. «Les gens confondent parfois le pays et le gouvernement, regrette Reza, alors que l’Iran a une immense culture vieille de 7000 ans.» (…)

«On me posait des questions quand j’étais plus jeune, se souvient Yachar, «alors ton père est comme dans Jamais sans ma fille?» Mais nous sommes Suisses à 100%. À la minute où j’ai pu faire ma demande de naturalisation à 16 ans, je l’ai déposée. Nous sommes des Nord-Lausannois, et notre double identité est ancrée en nous.» Une double identité bien visible quand l’équipe de foot d’Iran joue…

Tous sont conscients de la chance qu’ils ont eue de vivre en Suisse. «L’année où je suis entré au DFAE, la moitié des personnes qui ont été retenues étaient des double-nationaux, se souvient encore Yachar. Cette ouverture permet aux diplomates d’être plus en phase avec la population suisse, où 20% est d’origine étrangère. Et elle nous donne une grille de lecture complémentaire, qui peut être utile pour mieux défendre les intérêts suisses.» Sur le vaste canapé en velours, face à une pile de kôtlets, délicieuse spécialité à base de viande hachée, Reza se rengorge. C’est comme si l’histoire reprenait un cours brutalement interrompu. Lui rêvait d’être diplomate en Iran, son fils l’est devenu pour la Suisse. (…)

Article complet de Catherine Frammery dans Le Temps du 2 février 2019