Ces derniers représentent en effet, dans l’arène onusienne, un pouvoir tout symbolique. C’est ce que j’ai montré dans mon travail de doctorat, qui s’est penché sur l’instrumentalisation de la catégorie sociale des « jeunes » lors des COP des dernières années.
J’ai débuté ce travail à un moment où l’attention médiatique pour les mouvements menés par les jeunes, à l’image de Fridays for Future, qui a entraîné en France la naissance du mouvement Youth for Climate, était à son comble. Était-ce encore le cas lors des dernières COP, la COP27 à Charm el-Sheikh en 2022 et la COP28 à Dubaï en 2023 ?
Des COP en forme de poupées russes
Ce qui va faire le succès – ou l’échec – d’une COP dépend avant tout de la personne à qui l’on pose la question. Certains se concentrent sur les engagements politiques pris à l’issue des négociations, en fonction de ce sur quoi les États parties ont pu se mettre d’accord cette année-là.
Lors de la COP28 à Dubaï, par exemple, les États sont parvenus à un accord historique sur un fonds pour les pertes et dommages. Pour la première fois aussi, la fin des énergies fossiles était explicitement nommée dans le texte.
Mais le verre est à la fois à moitié vide et à moitié plein. Certains commentateurs se sont réjouis, d’autres ont été amèrement déçus, citant l’absence de nouveaux engagements financiers et un certain nombre de lacunes dans le texte. Une troisième catégorie de commentateurs estime que les négociations ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, et qu’une infime partie des objectifs d’une COP.
Selon eux, celles-ci jouent un rôle crucial en rassemblant la communauté du changement climatique – ou du moins la partie de celle-ci suffisamment privilégiée pour faire le déplacement. Ce moment de socialisation annuel est nécessaire, ajoutent-ils, pour partager les connaissances, améliorer les pratiques, se sensibiliser aux questions émergentes qui ne sont pas encore abordées dans les négociations elles-mêmes et pour forger des liens et des collaborations à travers le monde.
Des acteurs distincts au sein du même espace
Il faut dire que l’expérience des COP a quelque chose d’éminemment individuel, en fonction des participations à tel ou tel événements dans un agenda chargé. Les délégués qui participent pour la première fois à la conférence sont souvent dépassés par le nombre d’événements parallèles organisés dans la zone bleue (dont l’accès nécessite une accréditation et qui est officiellement « territoire de l’ONU »), sans parler de la zone verte (gérée par le pays hôte et à laquelle tout le monde peut s’inscrire).
Au cours des deux dernières années, j’ai été particulièrement au fait de l’ampleur de ces événements, en tant que chef d’équipe du Earth Negotiations Bulletin de l’Institut international du développement durable (IIDD, IISD en anglais) pour les événements parallèles de la COP. Composée d’auteurs, de photographes et de vidéastes, l’équipe de l’institut fournit une couverture indépendante de la COP, en veillant à ce qu’au moins une partie de ce qui se passe à la périphérie des réunions officielles soit partagée avec un public plus large.
La structuration des COP sur le climat met en évidence une série d’acteurs distincts, mais connectés dans un espace organisationnel particulier. Mais elle ne ne tient pas compte des jeux de pouvoir et des dynamiques relationnelles qui existent non seulement entre ces acteurs, mais aussi entre eux et la COP elle-même. La notion de champs sociaux, décrite par Bourdieu, offre, à mon avis, un cadre utile pour comprendre ce qui s’y joue, parce qu’elle tient compte à la fois des aspects sociaux et de l’existence de conflits entre les acteurs.
Elle est particulièrement utile lorsque l’on considère tout l’éventail d’acteurs impliqués – des lobbyistes du gaz aux activistes de la base, y compris les jeunes – plutôt que les seuls délégués de l’ONU ou des États membres.
Luttes de pouvoir et positions dominantes
Bourdieu a décrit les champs sociaux comme
«un réseau, ou une configuration, de relations objectives entre des positions. Celles-ci sont objectivement définies, dans leur existence et dans les déterminations qu’elles imposent à leurs occupants […] par leur situation présente et potentielle (situs) dans la structure de distribution des espèces de pouvoir (ou de capital) dont la possession commande l’accès aux profits spécifiques qui sont en jeu dans le champ, ainsi que par leur relation objective à d’autres positions.»
Les champs sont ainsi caractérisés par une lutte de pouvoir, et les positions dominées ou dominantes par leur accumulation relative de capital. Les champs sont également structurés par «les significations subjectives qui guident les acteurs dans la lutte». Comprendre: structurées par des règles du jeu particulières «souvent fixées et protégées par les acteurs dominants, tandis que les acteurs subordonnés finissent par contester ces règles et en imposer de nouvelles» (toujours d’après Bourdieu) et par différentes formes de capital symbolique ou culturel.
Mes recherches sur la participation des jeunes aux COP m’ont amenée à formuler des hypothèses sur deux caractéristiques de ces champs sociaux: le pouvoir symbolique et la visibilité.
La place de la jeunesse dans l’arène onusienne
Dans mon travail de doctorat, je me suis donc intéressée à l’instrumentalisation des jeunes lors des COP des dernières années et j’ai conceptualisé le pouvoir symbolique comme dépendant – notamment – de l’attention médiatique.
Dans un article récent, j’ai également suggéré que les jeunes, en partie grâce à l’attention des médias pendant et après le pic des manifestations organisées par Fridays for Future, disposaient d’un capital symbolique qui pouvait être échangé contre un capital politique ou économique.
On pourrait supposer que le fait de se représenter en tant que «jeunes» lors des sommets de l’ONU sur le climat, à un moment où l’attention portée aux jeunes est à son comble, leur ouvrirait des portes. La réalité est plus complexe.
La jeunesse instrumentalisée ?
Mes recherches – sur lesquelles j’ai récemment donné une conférence à l’Université de Genève – sur les expériences vécues par les jeunes activistes et défenseurs des droits de l’homme ont révélé que, de manière contre-intuitive, la jeunesse est en fait une monnaie d’échange dans la politique climatique mondiale.
Le problème, c’est que toute monnaie d’échange est, par définition, limitée, ce qui conduit les différents groupes de jeunes à rivaliser pour les temps de parole et la visibilité. Autrement dit : ils sont mis en concurrence, et cela alors qu’ils représentent des voix de plus en plus polyphoniques depuis 2019.
Des observations plus récentes suggèrent qu’il peut exister une relation inverse entre attention et pouvoir symbolique. En effet, le contraste est frappant entre les COP de Madrid (COP25) et de Glasgow (COP26) – où Fridays for Future, Extinction Rebellion et d’autres avaient organisé des manifestations à l’intérieur et à l’extérieur du site – et celles de Charm el-Sheikh (COP27) et de Dubaï (COP28), où l’action de la base militante était pratiquement absente, en raison de restrictions imposées aux manifestations et, pire encore, des harcèlements présumés.
Manifestations en marge de la COP26 à Glasgow. Oliver Kornblihtt/Flickr, CC BY-NC
L’attention portée à la jeunesse et aux espaces qui lui sont alloués permet de comprendre comment ces derniers entendent définir ou de redéfinir les «règles du jeu» dans leur champ social. En effet, ce qui était en jeu pour les activistes à Paris, Madrid, Glasgow et d’autres, ainsi que dans les contre-sommets habituellement organisés pendant les COP, c’était les limites mêmes de l’organisation des COP, où la responsabilité politique, sans parler de l’ambition, est rare.
À Dubaï, une jeunesse loin des yeux
La COP27 a été la première à présenter un pavillon pour les enfants et les jeunes qui était non seulement grand – 250 mètres carrés – mais aussi situé de manière centrale et stratégique dans la zone bleue.
Bien que cela semble témoigner d’une plus grande attention, certains critiques avaient estimé que cette décision représentait une tentative d’endiguer le mouvement climatique mené par les jeunes. En effet, les manifestations hors du site avaient été interdites pour la COP27. Un seul type d’engagement était possible pour les jeunes: à travers les événements du pavillon, à l’exclusion de toute action plus disruptive.
À Dubaï, il m’a fallu plus de temps pour trouver le pavillon dédié à la jeunesse: il ne se trouvait en effet pas dans la zone bleue, mais cette fois dans la zone verte. Ce déplacement devait permettre, en théorie, davantage de participation, puisque la zone verte est accessible sans badge officiel. Mais, en pratique, cela signifiait aussi que l’espace dédié aux jeunes était loin de la vue des délégués officiels, et plus éloigné encore des sites de prise de décision…