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Santé globale
02 December 2019

Au centre d’un monde malade

Il fait rayonner le nom de Genève. L’Institut de hautes études internationales et du développement a acquis une importance globale. Zoom sur cette institution à l’occasion de la remise du Prix de la Fondation pour Genève à son directeur sortant, Philippe Burrin. 

Globalisation et santé globale. Au 7e étage du second pétale de la Maison de la Paix à Genève, le Global Health Centre (GHC) de l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) est en pleine croissance, au point d'être presque à l'étroit au vu de son rayonnement. Célébrant en 2019 ses 11 ans d'existence, il emploie une trentaine de collaborateurs. Continuation du Global Health Programme et fondé par Ilona Kickbusch, il l'affiche de manière affirmative: il contribue à renforcer le statut de Genève comme capitale mondiale de la santé globale.

Souveraineté des Etats Santé globale?

De quoi s'agit-il vraiment? Codirecteur avec Suerie Moon du GHC depuis septembre 2019, Vinh-Kim Nguyen définit le concept: «C'est toute intervention dans la vie des gens. Rien à voir avec les systèmes nationaux de santé par lesquels les Etats fournissent des soins à leurs citoyens. La santé globale, c'est la nécessité d'apporter des prestations de santé là où la situation politique ne le permet pas. Difficile de parler de santé globale sans toucher à la souveraineté des Etats. Les acteurs de la santé globale remplissent de fait des fonctions étatiques de base.»

L'épidémie d'Ebola en République démocratique du Congo, déclarée d'urgence sanitaire mondiale en juillet dernier par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en est un bon exemple. Elle implique d'importantes négociations entre les autorités congolaises, l'OMS, MSF et d'autres acteurs actifs dans le terrain. Vinh-Kim Nguyen ajoute: «La notion de santé globale a étrangement émergé à travers un think tank militaire américain qui s'interrogeait sur les menaces posées par l'après-guerre froide. Mais ce qui a surtout promu le concept de santé globale, poursuit-il, ce sont les épidémies de sida (HIV) dans les années 1990, de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) au début des années 2000, puis d'Ebola.

Ces crises sanitaires ont changé la vision des acteurs de la santé. «La globalisation des problèmes montre qu'on ne peut plus s'occuper de santé dans son coin, même pas en Suisse, insiste la codirectrice du GHC, Suerie Moon. Une décision sanitaire prise à Genève peut avoir des répercussions en Californie, au Ghana ou en Inde. L'interdépendance sanitaire est devenue une évidence. Au Global Health Centre, nous fournissons des outils pour identifier et comprendre les différentes étapes de processus complexes afin de faciliter l'action.»

Depuis l'épidémie de Sras, le protocole de Nagoya exhorte les Etats à échanger des agents pathogènes afin qu'ils servent à des projets de recherche permettant de trouver des solutions. Dans ce cadre, le GHC a un rôle à jouer. «Nous analysons les flux internationaux pour nous assurer que de tels échanges de pathogènes ne soient pas entravés et qu'il n'y ait pas de problème lié à la propriété intellectuelle, poursuit Suerie Moon. Dans la même veine, le centre s'intéresse à la manière dont les vaccins sont financés, distribués et acceptés par ceux qui en ont besoin. Il entend aussi contribuer à ouvrir les processus de décision des Etats, à y insérer plus de transparence, à démocratiser la science de base. Il est ainsi réjouissant de voir que l'Assemblée mondiale de la santé, réunie chaque année à Genève, diffuse ses débats et délibérations désormais via webcast. La santé globale concerne tout le monde. La codirectrice du GHC suit aussi de près la question des prix des médicaments, de leur accès et des barrières commerciales qui pourraient l'entraver.

Approche pluridisciplinaire

C'est dans un contexte sanitaire mondial aussi complexe et dynamique que s'inscrivent les activités du Global Health Centre. Contrairement à d'autres centres de santé globale à travers le monde, le GHC n'est pas intégré dans une faculté de médecine ou une école de santé publique. Il est intégré dans un institut pluridisciplinaire qui lui permet d'aborder la santé globale sous des angles historiques, économiques, politiques et sociaux, voire anthropologiques. Ses responsables y voient une spécificité qu'il convient de cultiver. VinhKim Nguyen lâche d'ailleurs, un brin provocateur: «La santé globale n'est pas une question médicale, ni de santé publique. C'est une question politique.» «La santé globale, ajoute Suerie Moon, requiert de la recherche scientifique de base, mais aussi de la recherche sociale.» La gouvernance globale de la santé touche par ailleurs à un domaine ultrasensible: la souveraineté des Etats. Le centre a donc pris soin d'intégrer dans son cursus un enseignement de la diplomatie de la santé.

«La Genève internationale n’est pas une bulle»

Le Global Health Centre mène près d'une quinzaine de projets de recherche avec toute la rigueur académique nécessaire. «Nous agissons en incubateur de recherche, explique Suerie Moon. Nous offrons des enseignements et formations en étroite collaboration avec l'Institut de santé globale de l'Université de Genève dirigé par Antoine Flahault. Nous avons aussi les caractéristiques d'un think tank pour créer des événements et stimuler le débat.»

Avant de venir au GHC en 2016, Suerie Moon enseignait la santé globale à la Harvard T.H. Chan School of Public Health. Elle suit toujours des doctorants de Harvard. Pour elle, venir à Genève fut une évidence: «Le GHC a l'avantage de produire de la recherche académique tout en travaillant à l'élaboration de politiques de santé. C'est rare d'avoir les deux aspects dans le même centre. Ici à Genève, je suis comme un enfant dans un magasin de bonbons. Toutes les questions les plus pointues et actuelles dans le domaine y sont débattues.» Vinh-Kim Nguyen, anthropologue et médecin qui a mené aussi une carrière de professeur à l'Université de Montréal ne la contredit pas. «La Genève internationale n'est finalement pas la bulle dont on ne cesse de parler. On peut facilement coopérer avec d'autres organisations qui sont ancrées dans le réel. A Montréal, d'où je viens, on investit beaucoup dans la santé globale, mais il n'y a pas une telle densité et une telle proximité. A Genève, vous avez constamment des experts d'Ebola qui vont sur le terrain et en reviennent en apportant leur expertise. On ne trouve pas cela ailleurs.»

Le Global Health Centre entretient des relations avec tous les acteurs de la santé de l'écosystème genevois. Il a des accords formels de coopération avec l'OMS. Mais il insiste sur son indépendance et sa neutralité. Il en va de sa crédibilité. Ce n'est qu'avec une telle autonomie qu'il peut mener des recherches innovantes, élaborer des idées nouvelles et rompre les cloisons inutiles.

Bénéficiant du soutien financier de la Confédération, de l'Union européenne, de gouvernements, de fondations et bien sûr de l'IHEID, le GHC y voit une garantie d'indépendance. Le centre collabore avec les missions diplomatiques, les ONG, les start-up et même le secteur bancaire impliqué dans la santé. Il juge prioritaire de rester en contact permanent avec tous les acteurs de la santé, offrant des cours d'un à deux jours sur des thèmes spécifiques comme la politique de la drogue.  

Cet article rédigé par Stéphane Bussard a été publié dans « Le Temps » le 2 décembre 2019.