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Anthropology and Sociology
02 November 2018

Christine Verschuur : le genre, une catégorie non seulement utile mais nécessaire

Entretien avec Christine Verschuur, chargée d’enseignement et de recherche en anthropologie et sociologie récemment partie à la retraite.

Vous avez été membre du corps enseignant depuis 2002 et avez participé à des recherches et enseignements en genre et développement dès 1995. Comment la thématique du genre a-t-elle évoluée à l’Institut depuis votre arrivée jusqu’à votre départ à la retraite ?

Dès le début de ma collaboration avec l’Institut en 1995, j’ai été convaincue que la manière de faire comprendre la valeur heuristique du genre consistait à développer des recherches de qualité, inspirées des épistémologies féministes, sur des thématiques diverses et pertinentes, et de mieux faire connaître les résultats de ces recherches. J’ai pu mener des recherches et, avec d’autres, ouvrir des espaces à l’Institut pour encourager le dialogue des savoirs féministes, entre personnes engagées dans différents types d’institutions comme des centres de recherche et universités, des mouvements sociaux, des ONG et des organisations internationales. Ces espaces qui existent maintenant depuis plus de 20 ans comprennent les Colloques internationaux en genre, des journées d’études, et la collection des Cahiers Genre et Développement, maintenant en libre accès sur le site openedition.org,  Ils ont permis de faire connaître la richesse des apports théoriques féministes des chercheures de diverses origines, notamment des pays du Sud, dont les travaux sont souvent moins diffusés et reconnus.

L’Institut est d’ailleurs considéré comme un pionnier pour la constitution d’un champ d’études critiques en genre et développement dans les pays francophones ; il a notamment contribué à stimuler la recherche et l’enseignement en genre dans les pays africains francophones. Les recherches menées illustrent la pertinence de cette catégorie d’analyse. Il ne s’agit pas d’« ajouter les femmes et secouer » (add women and stir), mais de transformer le regard sur des questions de société, de poser de nouvelles questions, de mieux comprendre comment les inégalités de pouvoir se reproduisent. Il s’agit aussi de voir et d’entendre d’autres sujets, les personnes les plus marginalisées, tout en éclairant leurs capacités d’action.

À l’Institut, le genre est désormais utilisé comme une catégorie non seulement utile mais nécessaire, et il suscite un intérêt pour le renouvellement de la pensée critique qu’il apporte. Concrètement, il y a plus d’enseignements et de professeures, de thèses et mémoires, de projets et réseaux de recherche et de collaboration qui s’inspirent des théories féministes et les alimentent, avec un Centre genre et des initiatives renouvelées parmi les étudiantes et étudiants. Cet élan est nécessaire, car n’oublions pas que le retour de manivelle est toujours possible, comme certaines attaques contre l’enseignement du genre l’ont déjà montré, par exemple à l’Université d’Europe centrale à Budapest.

Quelles sont les réalisations dont vous être la plus fière ?

Je suis fière d’avoir pu contribuer à renouveler la réflexion sur la question centrale de la reproduction sociale – ou la reproduction élargie de la vie –, qui à mon avis ouvre des perspectives différentes sur les crises sociales, politiques et écologiques contemporaines. Certains résultats des recherches les plus récentes sont en ligne sur le site du Centre genre. La démarche féministe de recherche-action participative n’est pas toujours la plus valorisée en sciences sociales alors qu’elle contribue à des dialogues de savoirs enrichissants.

Et chez les étudiants, avez-vous constaté une évolution dans leur perception du genre et leur engagement ?

Alors qu’il y a quelques années, il me semblait que les jeunes étudiantes et étudiants considéraient les luttes et théories féministes comme has-been, j’observe maintenant un engagement croissant dans la cité, des initiatives au niveau de l’Institut, une demande pour plus d’enseignements sur ces thématiques et un intérêt pour inclure cette dimension critique dans leurs questionnements. Le genre n’est plus vu comme une injonction provenant des organismes internationaux, mais comme une catégorie permettant d’analyser les inégalités persistantes de pouvoir qu’ils et elles observent dans le monde professionnel, politique, médiatique, dans la sphère domestique, etc. Ce renouvellement date d’avant #MeToo et des mouvements vilipendant la prétendue « idéologie de genre ». Il est peut-être lié au fait que nous avons à l’Institut des étudiants et étudiantes venant de pays où les mouvements féministes sont vigoureux et où les inégalités de genre, qui se croisent avec les inégalités de classe, de caste, de race ou d’ethnicité, sont persistantes, voire s’approfondissent. Il y a également une plus grande conscience que ces inégalités existent partout, y compris dans les pays dits du Nord. Cela peut paraître inexplicable, après tant de décennies de luttes féministes et d’avancées, d’où peut-être l’intérêt renouvelé pour en comprendre les causes.