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Racisme
02 March 2020

La FIFA et le «worst» du racisme

Remettant le prix «The Best» à Lionel Messi le 23 septembre dernier à Milan, le président de la Fédération internationale de football association (FIFA), Gianni Infantino, déclarait: «Nous devons dire non au racisme, sous quelque forme que ce soit. Non au racisme dans le football, non au racisme dans la société. Nous devons mettre fin au racisme une fois pour toutes.» 

La veille, le match de championnat italien entre l’équipe de Sassuolo et la Fiorentina avait dû être interrompu à la suite d’insultes racistes proférées à l’encontre du joueur Alfred Duncan. Plus tôt, Romero Lukalu de l’Inter avait subi le même sort à Cagliari, de même que Franck Kessie, joueur du Milan AC. Le problème est loin d’être limité à l’Italie. Au cours des mois qui ont suivi, les cas de racisme lors de matchs de football se sont régulièrement manifestés, notamment en Grande-Bretagne, où la Professional Footballers Association a déploré en décembre dernier «l’augmentation» du problème. 

S’il n’incombe pas à une organisation à mission sportive d’éradiquer le problème – profond, complexe et multiforme – du racisme, la FIFA joue néanmoins un rôle particulier. Aujourd’hui, le football occupe une place trop importante, à la fois dans l’interaction entre les nations et du fait de la diversité des joueurs dont le talent est le fonds de commerce de la FIFA. Or, en dépit des exhortations de M. Infantino, la FIFA a échoué sur ce racisme qui s’exprime lors de compétitions qu’elle organise ou de championnats qu’elle chapeaute. Le système mis en place par la FIFA est dysfonctionnel pour trois raisons: il renvoie la faute aux joueurs, son approche est déclamatoire, et les instances en charge sont inefficientes. 

Problématiquement, les épisodes de racisme sur les terrains se terminent presque systématiquement par des punitions pour non pas les contrevenants, mais pour les victimes. Hypocritement, il est demandé aux joueurs d’ignorer les attaques verbales et parfois physiques des supporters et, lorsque ces premiers réagissent, ils sont injustement sanctionnés. Le 10 octobre dernier, c’était le cas de Taison Freda du Shakhtar Donetsk en Ukraine pour avoir réagi à la suite des provocations des supporters du Dynamo de Kiev. Le protocole de la FIFA ne sied pas à la gravité du problème. L’abandon du match vient dans une troisième position de décision arbitrale rarement atteinte. Quelle est la logique? Attendre que les insultes augmentent ou que la violence aille crescendo? La première n’est-elle pas suffisante? 

L’action de la FIFA est, ensuite, superficielle. Pétrie de contradictions opérationnelles, elle envoie le mauvais message également parce que, tout en ne rendant pas justice, elle multiplie les campagnes de marketing donnant l’impression que seule la sensibilisation ou la mobilisation émotionnelle suffisent. Ainsi, alors que les bannières «No to Racism» sont déployées lors de l’Euro 2016, deux mois plus tard, la FIFA dissout son groupe de travail sur le racisme, annonçant que sa mission avait été remplie…

Enfin, il manque aux structures mises en place par la FIFA la représentativité nécessaire à une action forte contre le problème. Le nouveau code disciplinaire introduit en juillet 2019 change peu de choses à ce problème systémique où des bureaucrates, flanqués de célébrités «Ambassadeurs», développent des campagnes pour dire non au racisme avec des selfies. 

Les racistes de tout bord continuent de trouver dans les stades des lieux de congrégation où ils peuvent chanter leur haine, la hurler sans crainte, sauf quelques exceptions. La pyramide des responsabilités est inversée: c’est aux victimes qu’il incombe de s’activer, de dénoncer et de prendre position publiquement. Le problème n’est pas le football mais le déficit éducationnel, avec des conséquences sérieuses dans toutes les démocraties. La FIFA n’est que l’expression parfaite de la réaction superficielle et inadéquate qui existe chez les membres de cette organisation. Comment pourrait-elle être le vaisseau d’un changement d’orientation si celui-ci ne se produit pas d’abord à l’intérieur des sociétés concernées? 

Les contradictions des fans sont aussi pathétiques que révélatrices: la présence de Mohamed Salah à Liverpool aurait réduit l’islamophobie des fans de cette équipe. Si c’était vrai (et cela reste à prouver), cela ne serait qu’un épiphénomène long comme le contrat du joueur avec cette équipe. Le joueur avec la peau foncée de son équipe n’est plus «il negro» ou «le singe», mais l’idole; celui de l’équipe adverse a droit aux insultes. 

Le racisme est solidement et historiquement ancré dans nos sociétés, y compris en Suisse. Les stades sont pour les racistes des lieux de prédilection pour ce défoulement. Si on laisse faire, c’est parce que nous pensons qu’il est impossible d’éradiquer le racisme ou parce que, dans le fond, nous cautionnons le racisme indirectement, par résignation ou passivité.
 

Cet article a été publié dans « Le Temps » le 17 janvier 2020.