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02 March 2011

Revue des scénarios géopolitiques

Thierry Kellner, docteur en relations internationales (histoire et politique) de l'Institut, dresse l'inventaire des scénarios géopolitiques.

Entre la montée des heurts en Libye, huitième producteur de pétrole parmi les membres de l'OPEP, et les craintes d'une contagion des révoltes à l'Arabie Saoudite, détenteur autoproclamé des plus grandes réserves du monde, les sources de tension deviennent multiples. Mais la forte progression des cours du baril reste pour l'instant essentiellement alimentée par les incertitudes sur l'issue de ces événements. Les marchés redoutent surtout qu'un chaos prolongé ait des effets néfastes sur la production. Il s'agit pourtant également sur les conséquences des types de systèmes qui pourraient succéder aux régimes autoritaires contestés.

Pour Thierry Kellner, docteur en relations internationales de l'Institut de Hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, tous les nouveaux paradigmes géopolitiques ne seraient pas forcément favorables au commerce international de pétrole. Il dresse une revue des scénarios.

Au-delà des tensions de court terme alimentées par les incertitudes, que peuvent redouter les pays consommateurs de pétrole?

A court ou moyen terme, le pire scénario est celui d'une plongée dans un chaos. Ce serait évidemment très problématique sur le plan de la production de pétrole et de gaz, mais aussi du transit vers l'Occident. Cela vaut pour l'Algérie, la Tunisie et le Maroc qui sont reliés au Sud de l'Europe par des infrastructures de transports d'hydrocarbures, pour la Libye (gazoduc Greenstream) mais également pour l'Egypte. L'oléoduc Sumed, par exemple, reste pour l'instant surveillé par l'armée égyptienne. Mais imaginez qu'il soit délaissé et soit victime de sabotages. Sans oublier un éventuel problème autour du canal de Suez

Est-ce réellement une issue envisageable?

Il est trop tôt pour se prononcer sur la direction que prendront ces révolutions. Mais on l'a vu ces derniers jours, avec les problèmes autour du gazoduc entre l'Egypte et Israël, qui a sauté.

En cas de rétablissement de l'ordre, quels sont les développements imaginables?

Cela dépend de quel rétablissement vous parlez. Si le régime libyen parvient à reprendre le contrôle par exemple, il est tout à fait imaginable qu'il veuille faire payer les pays européens pour leurs prises de positions en faveur des protestataires anti-Kadhafi dans ce conflit.

Et si une ou des démocraties parviennent à se mettre en place?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, une telle issue ne constituerait pas non plus forcément une bonne nouvelle pour l'Occident, ou du moins pour les compagnies pétrolières étrangères.

Pour quelle raison?

Cela dépend beaucoup de quels types de régimes s'installeraient. S'il est de nature populiste, on pourrait assister au développement d'un discours sur le nationalisme énergétique et à une sorte de renationalisation à la russe, voire à la Chavez, avec une fermeture du secteur des hydrocarbures aux compagnies internationales.

Les secteurs pétroliers renationalisés sont-ils forcément moins efficaces que s'ils sont privatisés?

Il suffit de penser à l'exemple vénézuélien. L'exemple iranien est aussi parlant. La production pétrolière de Téhéran est bien moindre qu'à l'époque du Shah, lorsque la compagnie nationale iranienne était associée aux compagnies internationales. Les compagnies occidentales sont en fait très souvent à la pointe de la technologie en termes d'extraction ou de services pétroliers annexes. Même s'il y a des exceptions, comme le Brésil ou l'Arabie Saoudite par exemple, où les compagnies nationales ont su garder de bons contacts avec l'extérieur et mettre à jour leur savoir-faire.

Y-a-t-il tout de même un scénario qui jouerait en faveur des pays consommateurs de pétrole?

Le plus positif serait l'émergence de systèmes politiques qui miseraient sur la dynamisation du secteur des hydrocarbures, avec une ouverture de ce secteur aux investissements et aux activités des compagnies internationales. En cas de changement de régime en Iran, on assisterait sans doute rapidement à une levée des sanctions et à une réouverture du pays sur l'Occident. Cette dernière pourrait permettre aux sociétés internationales de s'y implanter. En collaboration avec la compagnie nationale iranienne, ces compagnies pourraient mettre réellement en valeur le potentiel énorme de ce pays.

Le paradigme qui oppose l'OPEP au reste du monde pourrait-il être bousculé?

C'est difficile à imaginer, mais pourquoi pas? Une démocratisation de ses membres permettrait sans doute d'élargir le dialogue, de les inciter à diversifier leur économie, à la dynamiser. N'oublions pas qu'ils restent pour la plupart des états rentiers. La secteur pétrolier ne crée que peu d'emploi.

Mais quel serait ici l'intérêt de l'Occident?

On voit bien aujourd'hui que c'est la sclérose des régimes autoritaires et l'absence de perspectives de progression sociale qui révolte les populations. En établissant un système économique plus équilibré, ces pays deviendraient plus stables politiquement. Ce qui profiterait aussi à leurs partenaires commerciaux. Les Européens verraient alors émerger un nouveau marché et des opportunités économiques.

Que peuvent faire les Occidentaux pour inciter l'instauration d'un tel type de régime?

La meilleure nouvelle pour eux serait que ces pays s'inspirent de la Turquie. Non seulement ce pays joue un véritable rôle de pont entre l'Europe et le Moyen-Orient, mais il a également su installer un modèle multipartite qui fonctionne, même s'il conserve encore certains défauts.

 

Interview: Servan Peca in L’AGEFI, 22 février 2011 !--{129906271483914}-->

  

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