En ce début d'année 2012, le sixième voyage de Mahmoud Ahmadinejad en Amérique latine, depuis son accession à la présidence en 2005, l'a conduit à visiter le Venezuela, le Nicaragua, Cuba et l'Équateur. Au moment où le conflit sur le dossier nucléaire s'intensifie entre l'Iran et l'Occident, il est légitime de s'interroger sur les causes de ce voyage, loin de ses terres, du président de la République islamique.
Premièrement, il permet de renforcer le romantisme révolutionnaire propre à l'idéologie populiste que prône Ahmadinejad sur la scène politique interne. En ce sens, il rejoint, en partie, les penchants populistes de certains dirigeants latino-américains qui alignent leurs actions politiques sur le sentiment antiaméricain prédominant au sein de leurs opinions publiques. Si ce pied de nez des dirigeants latino-américains à Washington rencontre un certain succès dans leurs pays respectifs, il laisse toutefois indifférente la majorité de l'opinion publique en Iran. Cette recherche de légitimité révolutionnaire d'Ahmadinejad s'inscrit dans un contexte interne où sa crédibilité et sa légitimité de président sont largement écornées par la répression du mouvement vert de 2009 et par son statut de président en fin de second mandat. Il ne pourra en effet pas se présenter une nouvelle fois aux présidentielles de 2013. De plus, dans le bras de fer qui l'oppose au guide suprême, il est peu probable que ce voyage américain lui permette de renverser le rapport de force, tout au plus, cela lui permet de renforcer le consensus antiaméricain, qui reste l'une des caractéristiques du régime islamiste.
Mais, au-delà du contexte politique interne iranien, cette visite s'inscrit aussi dans le bras de fer qui oppose Téhéran aux États-Unis sur le dossier nucléaire. Ce voyage lointain permet à Ahmadinejad d'entretenir des soutiens diplomatiques précieux pour limiter l'isolement international de la République islamique au sein des organisations internationales. Il procède également de la volonté de la République islamique d'apparaître comme une puissance mondiale au moment où Téhéran rencontre des difficultés sur la scène régionale. Cette échappée américaine traduit enfin une illusion diplomatique iranienne: pouvoir peser sur les évolutions géopolitiques de l'arrière-cour des États-Unis.
Si la dimension symbolique de ces rencontres ne doit pas être négligée, la réalité économique de leurs coopérations avec l'Iran ne doit pas être surestimée malgré les effets d'annonces. L'intérêt pour l'Iran est de trouver des voies de contournement de l'embargo économique qui grève la capacité des dirigeants iraniens à transformer le pays en véritable pays émergent. La portée économique de cette visite est amoindrie car, cette fois-ci, le président iranien ne s'est pas rendu au Brésil, la principale puissance économique de la région, qui faisait pourtant partie de son voyage de 2009. À la veille de cette visite, l'Iran a d'ailleurs annoncé le lancement d'une chaîne de télévision en espagnol, Hispan TV. Cette volonté de l'Iran d'être présent sur l'échiquier sud-américain a sans surprise été dénoncée par Washington. Ileana Ros-Lehtinen, la présidente du comité pour les affaires étrangères de la Chambre des représentants, a évoqué «la tournée des tyrans». Les autorités américaines ont exprimé à de nombreuses reprises leur crainte de voir se constituer des réseaux terroristes soutenus par l'Iran en Amérique latine. Il s'agit plus d'un avertissement lancé aux gouvernements de la région qui développent leurs relations avec Téhéran, la menace sécuritaire en provenance d'Iran n'étant pas, à ce jour, une réalité en Amérique latine.
Ahmadinejad est un Persan qui semble avoir trouvé le chemin de l'Amérique latine faute d'avoir rencontré le succès escompté en Iran et au Moyen-Orient. Autrement dit, l'éloignement géographique est certes une limite à l'approfondissement des relations bilatérales sur les plans économiques et stratégiques, mais il constitue un avantage en termes d'image pour la République islamique. Si le Brésil a légèrement infléchi sa stratégie iranienne, le romantisme révolutionnaire antiaméricain de Téhéran suscite encore un certain attrait dans une partie de l'Amérique latine.
Le Figaro, Clément Therme, 23 janvier 2012
Clément Therme a obtenu son doctorat en relations internationales, spécialisation histoire et politique internationales, à l’Institut et un doctorat en sociologie de l’EHESS de Paris. Sa thèse sur « La politique étrangère iranienne depuis 1979 : le cas soviéto-russe » sera publiée en 2012 dans la collection conjointe Institut/Presses universitaires de France (PUF). Clément Therme est aujourd’hui Associate Fellow au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS) de l’EHESS et Teaching Fellow au département d’études européennes de l’Université de Bath. Il est également co-éditeur d’un livre intitulé «Iran and the Challenges of the Twenty-First Century» qui sera publié en 2012 par Routledge dans la série études iraniennes.