news
Alumni
26 January 2011

La diplomatie ce n'est pas une foire au bétail

Micheline Calmy-Rey a entamé son année présidentielle avec une actualité extérieure brûlante. Interview de notre Alumna.

© CHANTAL DERVEY | La Suisse a mis en place un système très performant pour défendre sa place financière face aux fonds illégaux.

«Je crois vous avoir donné un certain nombre de motivations qui m’animent.»

A la fin de l’entretien, Micheline Calmy-Rey renvoie la balle avec détermination et pince les lèvres d’agacement quand on lui demande ses motivations à rester au Conseil fédéral. Autre motif de crispation: la crise libyenne. «Je ne donne pas d’information et je ne fais AUCUN commentaire sur le dossier libyen», indique sans plus la Présidente de la Confédération se ferme-t-elle lorsqu’on aborde ce sujet manifestement tabou.

Au cours de l’interview, Micheline Calmy-Rey apparaît souriante, détendue et toujours déterminée. Présidente de la Confédération pour la deuxième fois, après 2007, la socialiste genevoise veut placer cette année 2011 sous le signe de l’Europe pour l’extérieur et la rencontre de la population pour l’interne. A 65 ans, la genevoise n’apparaît pas usée par la charge et ne laisse rien apparaître du camouflet de sa mauvaise élection à la présidence. Elle tient surtout à parler d’autre chose que des péripéties de la politique politicienne. Contenu, dossiers et actu. Micheline Calmy-Rey s’emballe encore.

A lire les câbles diplomatiques US publiés par WikiLeaks, les deux Ouïgours de Guantánamo ont servi de monnaie d’échange dans l’affaire UBS?

Très clairement non: le Conseil fédéral n’a jamais décidé un tel échange. L’accueil des trois anciens détenus de Guantánamo était un geste humanitaire de la Suisse.

Mais les pressions américaines existent…

Nos relations avec les Etats-Unis sont très bonnes: les contacts sont fréquents et intenses. La raison en est que la Suisse assume un rôle de médiateur dans plusieurs dossiers internationaux qui intéressent les Etats-Unis. Et bien sûr, quand il y a des difficultés, le fait qu’on coopère régulièrement joue certainement un rôle. Mais il n’y a aucun marchandage de foire au bétail.

Selon le document publié par WikiLeaks, lors d’une rencontre avec Mme Clinton à Zurich, vous avez parlé de l’entreprise Colenco et de son impact sur le développement de l’arme nucléaire en Iran. Est-ce que dans ce cadre-là vous avez évoqué la plainte UBS?

J’ai eu plusieurs entretiens avec Mme Clinton. Et dès notre première rencontre, nous avons toutes le deux conclu que nous devions éviter un conflit entre les ordres juridiques de nos deux pays et qu’il serait utile de résoudre le problème UBS par la diplomatie. Et non par une escalade qui aurait aussi fait du tort aux Etats-Unis: UBS a une trentaine de milliers d’emplois aux Etats-Unis.

Vous confirmez qu’aucun lien n’a été fait entre la résolution du différent juridico-bancaire UBS, le geste lié à une société basée en Suisse et ACTIVE en Iran, et l’accueil de détenus de Guantánamo?

Ma collègue Doris Leuthard l’a déjà dit publiquement. Je confirme, de la part du Conseil fédéral, il n’y a eu aucune volonté de lien direct.
On peut donc discuter de trois sujets lors d’une même séance sans les lier de manière implicite?
D’abord, je ne vous dirais pas si trois sujets ont été discutés ou s’il y en a eu quinze ou vingt. Dans ce genre de discussions, l’ensemble des relations bilatérales et internationales est abordé.

Seriez-vous prêts à accueillir Julian Assange en Suisse?

Pour qu’il puisse être accueilli comme réfugié, il faut qu’il fasse une demande d’asile. Ce qui n’est, à ma connaissance, pas le cas. Et s’il la faisait, elle serait examinée normalement, à savoir selon les procédures existantes.

Est-ce que Wikileaks est en train de changer la manière dont on fait de la diplomatie?

Wikileaks repose le problème de la confidentialité. Les premiers diplomates américains voulaient bannir le secret. Par opposition à la pratique diplomatique européenne qui considérait que tout était secret. Et puis, la réalité des choses a fait que les Américains ont du reconsidérer leur position. La transparence est un principe essentiel: on a des comptes à rendre à ceux qui nous ont élus. Mais dans une négociation, il est parfois utile de ne pas révéler sa tactique à l’avance. On fait sans cesse une évaluation entre la nécessité de transparence et le besoin d’une certaine confidentialité. En fait, le risque existe que, par réaction, WikiLeaks mène à une certaine disqualification du principe de transparence par rapport à celui de confidentialité.

Autre actualité, le blocage des avoirs du clan Ben Ali et de Laurent Bgagbo. A quel moment, un chef d’Etat devient un dictateur?

Des personnes exposées politiquement sont toujours considérées comme un groupe à risque pour notre place financière. C’est pour cela que la loi sur le blanchiment prévoit des précautions supplémentaires vis-à-vis de ces individus pour prévenir que de l’argent illégal soit placé en Suisse. En ce qui concerne le blocage de fonds, une demande d’entraide judiciaire est activée par un pays qui s’estime lésé. Bien évidemment quand un chef d’Etat est en fonction, une telle demande à son encontre ne peut exister. Raison pour laquelle ces demandes d’entraide judiciaire viennent pratiquement après que la personne ait quitté le pouvoir. Ici notre objectif de bloquer l’argent est double. D’une part inciter le pays concerné à déposer une demande d’entraide judiciaire et d’autre part éviter que des biens soient transférés.

Mais la Suisse agit en pompier. Un dictateur en fonction peut aujourd’hui encore déposer de l’argent en Suisse?

Avec la loi sur le blanchiment, nous avons des règles de contrôle très strictes. Notre législation prévoit la responsabilité de tous les intermédiaires financiers qui doivent connaître leurs clients et sont obligés d’immédiatement rapporter tout soupçon aux instances compétentes. La Suisse est un Etat de droit. Pour agir nous devons avoir de bonnes raisons de penser que l’argent a été capté au profit d’un tel individu. à son profit. L’autre principe est d’attendre que le pays demande une entraide judiciaire. Regardez l’exemple de l’avion de Laurent Gbagbo saisi à sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Dès le moment où la France a reconnu l’élection de M. Ouatara, elle a saisi l’avion appartenant à la Côte d’Ivoire.

Le timing a-t-il été bon. Des avoirs du clan Ben Ali ne se sont-ils pas envolés?

C’est très peu probable. La Suisse a mis en place un système très performant pour défendre sa place financière face aux fonds illégaux avec notamment des obligations de diligence. Nous considérons que cet argent appartient aux populations qui sont concernées. En ce domaine, nous jouons un rôle de pionnier avec notamment notre loi sur la restitution des avoirs des potentats. La Suisse agit de façon conséquente. Et je rappellerai que nous avons restitué ces dernières années – et nous sommes le seul pays à l’avoir fait – 1,7 milliard de francs. Au Nigeria par exemple, pas moins de 800 millions de dollars ont été remis avec un appui de la Banque mondiale qui a vérifié l’utilisation de cet argent en faveur des populations concernées.

La Suisse avait de bonnes relations avec la Tunisie. Est-ce que la Suisse aurait pu mettre davantage de pression?

Je rappelle que M. Samuel Schmid quand il était allé à Tunis au Sommet de l’Information en 2005 avait fait une déclaration tout à fait remarquée. Et remarquable sur la liberté d’expression. J’avais moi-même reçu des opposants tunisiens ce qui nous avait valu le départ du chargé d’affaire, rappelé par Tunis. La Suisse a toujours tenu le même langage concernant le respect des droits humains et de la liberté d’expression.

Que peut faire la Suisse pour soutenir cet espoir des Tunisiens d’une société plus libre, voire démocratique?

La situation est en train de revenir au calme. Tunis retrouve son visage de tous les jours. Il faut espérer que le régime qui est en train de se mettre en place respecte les droits humains, la liberté d’expression et avance dans cette direction. La Suisse soutiendra toujours ce genre de démarches.

Les événements tunisiens peuvent-ils faire tâche d’huile dans le Maghreb? En Egypte ou en Algérie notamment? Quels risques pour l’Europe, de point de vue migratoire?

Pour le moment le flux migratoire est dans le sens inverse. Les Tunisiens rentrent. C’est l’espoir qui domine. Ceci étant, on ne peut pas exclure qu’il y ait une propagation du mouvement dans les pays du Maghreb. Mais les circonstances, les conditions politiques et juridiques sont différentes d’un pays à l’autre. On suivra avec beaucoup d’attention les élections en Egypte, par exemple.

L’actualité genevoise est, elle, marquée par les attaques spectaculaires qui se multiplient. Le sentiment général est que l’espace de sécurité Schengen ne fonctionne pas.

D’abord la criminalité transfrontalière n’est pas née avec Schengen. Elle existait avant. Elle s’accroît avec le phénomène de globalisation. La criminalité existait avant et elle existera après. Mais Schengen a apporté un plus en terme d’efficacité avec la connexion au système d’information SIS. Le signalement SIS permet de rechercher des suspects et des biens dans toute l’Europe et sans perte de temps. Un autre instrument de Schengen est les contrôles mobiles. Ceux-ci se sont avérés insuffisamment dotés en personnel et le Conseil fédéral a réagi immédiatement et affecté 10 gardes-frontière supplémentaires. Nous avons encore quarante-huit aspirants en formation. Ensuite la seule manière de régler ce problème de criminalité transfrontalière est de travailler avec la région française voisine. Nous avons un accord de coopération policière avec la France.

Par Xavier Alonso et Pierre Ruetschi (Berne) in La Tribune de Genève | 24.01.2011

var addthis_config = {"data_track_clickback":true};