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Alumni
18 January 2012

Décortiquer le terrorisme, c'est une addiction

Ancien cadre des Services de renseignements, un alumnus a créé le premier centre privé suisse d'analyse et de formation en lien avec les mouvements terroristes.

24 heures, Emmanuelle Es-Borrat, 14 janvier 2012

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Dans son bureau en ombres et lumières, une mappemonde anthracite trône sur la table basse. Sur les cimaises immaculées, des schémas, des portraits, d'hommes surtout, souvent barbus ou le visage caché derrière un foulard. Quelques décorations professionnelles aussi. Derrière son écran, Jonathan Olfalh* rappelle volontiers que, dans son monde comme ailleurs, «rien pourtant n'est tout blanc ou noir. La proportion de psychopathes n'est pas plus élevée parmi les terroristes que dans d'autres milieux».

Installé dans la région chablaisienne dans ce qui se présente comme le premier centre privé suisse d'analyse du terrorisme, Jonathan Olfalh, la quarantaine, raconte ce métier atypique devenu, en près de vingt ans de carrière, un compagnon de vie, «une addiction».

Tout a commencé par une rencontre inédite. «J'étais étudiant (…) [à l’Institut de] hautes études internationales [et du développement] à Genève. Mon objectif était de devenir ambassadeur. Un membre des services secrets suisses m'a mis le pied à l'étrier et je suis entré dans les Services de renseignements. Depuis, je n'ai fait que ça. »

Décrypter les signatures

Et quand l'histoire s'est emballée le 11 septembre 2001, tout a basculé aussi pour lui. «Ben Laden, je m'y intéressais depuis longtemps. Les choses se sont soudainement accélérées. Ce qui semblait anecdotique au niveau suisse prenait tout d'un coup de l'ampleur. J'ai ensuite rejoint la police judiciaire fédérale et participé à la création de sa première unité antiterroriste. » Avec l'expérience, le spécialiste s'est constitué un langage, une bibliothèque et des grilles de lecture qui semblent cependant ne pas pouvoir rivaliser avec sa mémoire, toujours en alerte.

En quête du sens, Jonathan Olfalh décortique les mots et les images qu'il ne cesse de glaner, principalement sur internet. «Beaucoup de choses existent, il faut juste savoir où aller les chercher. Le centre a des contacts en Asie, en Amérique du Nord et en Europe. Je jongle avec les fuseaux horaires et reste branché en permanence, ce qui me permet d'établir des liens très vite», explique-t-il en pointant des illustrations sur le mur.

«Avec le temps, la signature des informations récoltées devient de plus en plus claire. Regardez la photographie de ces otages au Mali, comme ils sont positionnés, assis sur les talons, mains sur les genoux. Un homme armé à leur gauche. Cette mise en scène est particulière à l'unité d'Abou Yayia al- Hammam, l'un des chefs de la branche sahélienne de l'organisation Al-Qaida au pays du Maghreb islamique (AQMI). Autre exemple, sur l'une des vidéos qui nous est parvenue du couple suisse retenu par les talibans au Pakistan (ndlr: enlevés en juillet 2011, ils sont toujours prisonniers), les otages s'expriment en dialecte bernois. Jamais une telle vidéo ne serait publiée sans que le contenu soit contrôlé par les ravisseurs. La question est donc de savoir qui, éventuellement présent en zone pakistano-afghane, a pu «quittancer» le discours des deux otages. Il existe peu de candidats, mais cela reste un mystère».

Eviter la manipulation

Emporté par ses récits, Jonathan Olfalh n'oublie pourtant jamais de mesurer ses propos. Relais public de ce travail, le site d'analyse du centre, régulièrement alimenté sur internet, respecte cette même ligne. «La fiabilité des informations, le croisement des sources en constituent le fondement évident. Ensuite, il y a les questions que je me pose systématiquement avant de publier: l'article porte-il l'attention sur quelqu'un qui ne devrait pas se trouver dans la ligne de mire? Est-ce que les familles concernées peuvent être touchées? Est-ce que nos informations sont susceptibles d'embarrasser le travail d'Etat?».

Car si, depuis un an, Jonathan Olfalh a opté pour la voie privée, il reste solidaire du travail des services officiels, qu'ils soient de Berne ou d'autres continents. Un respect qui l'incite constamment à user de minutie. «J'évite la manipulation à tout prix. C'est la raison pour laquelle je n'ai encore rien rédigé sur la situation au Mali. Nous avons subi tellement de feux et de contre-feux que, pour l'heure, je préfère continuer mon observation et m'abstenir de publier».

Même son pseudonyme, Jonathan Olfalh l'a pensé dans toutes ses lettres, lui conférant une symbolique toute personnelle. «Mon passé dans les services de renseignements et de police me donne des responsabilités et m'oblige à une certaine discrétion. Il est arrivé qu'un terroriste envoie un mail au centre pour faire part de ses remarques sur un billet qui lui était consacré. Cela fait quand même bizarre».

Au quotidien, le spécialiste donne un peu l'image du cavalier solitaire. Mais pas tant que ça. D'un clic de souris, il relie les points chauds de la planète, du Nigeria à l'Afghanistan, en passant par le Maghreb islamique. D'un clic, il voyage dans la «djihadosphère» et tâte le pouls d'Al-Qaida. D'un clic, il répond aux entreprises, qu'il conseille pour gagner sa vie. «Mes clients potentiels sont des entreprises privées, des banques, des assurances. Je leur fournis des rapports sur un contexte précis afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées. Par principe, je ne demande jamais quelle option a été choisie au final. Il m'arrive aussi d'organiser des formations pour du personnel à titre préventif. Beaucoup plus développé aux Etats- Unis, ce métier y est là-bas très rentable, mais l'ambition de ceux qui l'exercent n'est pas toujours louable. De mon côté, les règles que je me suis fixées m'incitent à beaucoup moins de gourmandise».

Matière humaine

La suite? «Je ne sais faire que ça», conclut Jonathan Olfalh. «Depuis 2001, on a l'impression que le terrorisme appartient aux discussions de bistrot. Il est certes moins complexe que la physique nucléaire, et certainement moins grave que la crise économique. Mais il est aussi tout sauf un phénomène simple. Le terrorisme n'est pas une hydre sans tête. Il est constitué d'humain, la nature la plus complexe, la plus belle, et la plus terrifiante qui soit».

* Nom connu de la rédaction